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Il serait cependant déraisonnable d’espérer qu’un jour viendra bientôt où les manufactures n’emploieront plus de jeunes mères et de femmes mariées : aussi. faut-il s’efforcer d’adoucir par tous les moyens le régime du travail en atelier. Il importe de remarquer que la grande industrie ne fait que sortir de la période d’enfance ; après bien des tâtonnemens et bien des désordres, elle s’organise sur un plan meilleur. Il y a eu au début beaucoup d’erreurs et d’abus que la pratique, la leçon du temps ont peu à peu corrigés. L’un de ces abus les plus crians, c’était l’excessive longueur de la journée de travail ; il y a trente ou quarante ans, presque toutes les manufactures d’Europe exigeaient de leur personnel la présence dans les ateliers pendant quatorze heures au moins, souvent quinze et même plus. Quelques hommes de sens et d’initiative s’aperçurent de la folie de cette méthode et l’abandonnèrent. Au début de ce siècle, un manufacturier des bords de la Clyde, Robert Owen, réduisit à dix heures et demie la journée de ses établissemens ; ce coup d’audace réussit, la fortune d’Owen s’accrut malgré une témérité qui semblait la devoir détruire ; bon nombre d’industriels se risquèrent à faire le même essai, et obtinrent un résultat analogue. Un inspecteur-général des manufactures anglaises, M. Horner, a raconté dans un de ses rapports officiels cette réduction toute bénévole et spontanée de la durée du travail dans d’importantes fabriques. Encore une fois, il n’y avait pas lieu en France de faire intervenir l’état pour ramener au-dessous de douze heures la journée dans les usines ; il faut espérer que le progrès des mœurs et des connaissances industrielles saura, avec le temps et sans l’action des lois, produire cette heureuse amélioration. Dans l’enquête sur d’enseignement professionnel, M. Bourcart, de Guebwiller, déclarait que depuis quatre ans il ne faisait plus travailler dans l’après-midi du samedi, et que la production de ses établissemens, loin d’avoir diminué, avait au contraire augmenté.

Si notre cadre le permettait, nous pourrions citer bien des témoignages à l’appui de la thèse des courtes journées de travail. L’on sait ce qu’est en France. la discipline des manufactures : tous les observateurs s’accordent pour nous représenter les retards et les absences que les amendes sont impuissantes à prévenir, les distractions, les allées et venues ; que l’on calcule ce qui est ainsi perdu sur les douze heures de travail. N’a-t-on pas remarqué combien la production est élastique et dépend de la volonté de l’ouvrier ? Si la journée était un peu plus courte, cette volonté ne serait-elle pas plus énergique et plus soutenue ? C’est un problème dont nous attendons la solution non de la loi, mais du temps et des mœurs. Quelle est l’importance que tout manufacturier intelligent attache à son matériel, on le sait. Avoir des machines du dernier