tisme ce qu’il avait dit autrefois à l’église : « ôte-toi de devant mon soleil, le soleil de la pure humanité! » L’arrivée des Prussiens à Weimar le contraria; les volontaires, selon lui, se comportaient mal et ne prévenaient point en leur faveur. Il s’enfuit à Tœplitz, où, pour mieux se distraire, il entreprit d’étudier l’histoire de la Chine. Plus tard, lorsque tonnait le canon de Waterloo, il n’était plus en Chine, il était en Perse; il lisait Hafiz, et les ghazels de celui qu’on a surnommé l’Anacréon de Chiraz le transportaient; sous l’influence de ce charme, de cette ivresse, il composait déjà dans sa tête son Divan. « Le nord, l’ouest et le sud se déchirent, les trônes volent en éclats, les empires tremblent. Fuis, va respirer dans le pur Orient l’air des patriarches ; parmi les amours, les coupes et les chants, la source de Chiser te rajeunira. » C’est ainsi qu’il avait laissé à de nouveau-venus, à des talens obscurs, novices, à peine dégauchis, le soin de célébrer la patrie, les batailles de la liberté, les déroutes de la tyrannie. Leurs chansons déplaisaient à sa dédaigneuse oreille; il lui semblait que ces violons grinçaient, il préférait Suleika et les soupirs des houris. Pourtant ces violons ont chanté des airs qui méritent de vivre; cette poésie militante qui sent la poudre, où vibre le souffle des tempêtes, n’a pas atteint à la perfection de la forme, mais elle a de l’élan, du jet, une éloquente sincérité : c’est le cri du malheur, du courage et de la foi. Si le Divan est un impérissable chef-d’œuvre, Théodore Kœrner a son prix, et on se plaira toujours à écouter ce qu’en partant pour chercher la mort sur un champ de bataille ce héros de vingt-deux ans disait à son épée[1].
En 1870 comme en 1813, la guerre a eu ses poètes. Gravelotte et Sedan ont singulièrement enrichi le Parnasse germain. Il n’est pas de bulletin de victoire qui n’ait fait entrer en danse les lyres et les guitares. A l’armée active et permanente de la poésie allemande se sont joints et le landsturm et les volontaires; la mobilisation a été générale, tout le monde était sur pied, et chacun a fait vaillamment son devoir. Ceux qui ne possédaient qu’un flageolet tâchaient d’en grossir le son à force d’y souffler; ceux qui avaient de la voix se sont époumonés, et ceux qui l’avaient fausse s’excusaient sur
- ↑ Les plus admirables vers, les plus achevés de forme qu’aient inspirés les guerres d’indépendance, sont les Sonnets cuirassés (geharnischte Sonette) de Rückert, qui en 1813 avait vingt-quatre ans; mais ces beaux vers sont plus cherchés que ceux d’Arndt et de Kœrner. Rückert était moins poète qu’artiste. Possédant à un degré rare les ressources de la langue et les secrets du métier, il a traité tous les sujets, s’est essayé dans tous les styles; sa carrière poétique a été une longue expérimentation, et ses expériences ont presque toutes réussi. C’est le plus grand d’entre les habiles. « Les Sonnets cuirassés, a remarqué finement M. Julian Schmidt, ont de l’essor et une grande richesse de pensées; mais quiconque a une oreille délicate pour les vibrations du cœur y sentira par endroits l’inspiration de seconde main, das Anempfundene. »