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II.

Le monde oriental ou grec n’avait pu léguer à l’imagination romaine, qui n’était guère prête d’ailleurs à les féconder, qu’un petit nombre de données concernant la nature et le climat du nord. Peu importait que les Phéniciens en eussent parcouru les mers, peut-être jusque vers les côtes de Suède et de Norvège. Peu importait qu’un des navigateurs envoyés par l’antique Carthage au-delà des colonnes d’Hercule eût visité les côtes occidentales de la Gaule, et se fût élevé jusqu’aux îles britanniques; ces souvenirs étaient à peu près perdus. Vainement aussi, au temps d’Alexandre ou de ses successeurs, Pythéas, le fondé de pouvoirs du commerce marseillais, avait pénétré au fond de la Baltique, pour renouer au nom de ses commettans les relations engagées autrefois par les négocians de Marseille phénicienne. Les Romains semblent avoir appris seulement par l’invasion gauloise, puis par celle des Cimbres, qu’il y avait à l’ouest et au nord des Alpes des barbares très redoutables. On disait des Cimbres qu’ils avaient quitté leur pays chassés par un débordement de la mer, après avoir lutté contre les vagues leurs épées à la main. Strabon rejette comme une vaine fable ce récit d’une grande inondation maritime ; mais la science moderne est plus attentive : le savant professeur de Kiel, M. Forchhammer, a retrouvé dans la partie occidentale des duchés de l’Elbe et du Jutland les traces de ce qu’il appelle le déluge cimbrique. Les flots auraient déposé dans tout ce pays un grossier galet facilement reconnaissable ; bien plus, des études récentes, dues aux disciples mêmes de M. Forchhammer, ont paru montrer les restes de ce fléau s’étendant par toute la vallée de l’Eyder jusque dans la ville de Kiel, dont une grande partie serait construite sur de tels atterrissemens. Pourquoi d’ailleurs les côtes de la Mer du Nord eussent-elles été exemptes dans l’antiquité des désastres qui les ont tant de fois maltraitées depuis? L’histoire des tribus frisonnes, dispersées encore aujourd’hui sur ces rivages, est celle d’une perpétuelle lutte contre les invasions de la mer. Les annales du littoral hollandais n’ont pas de trait plus saillant, et l’imagination a peine à reconstruire les terribles scènes à la suite desquelles, au XIIIe siècle, s’est égrenée cette série d’îles, du Dollart au Zuiderzée, alors que la mer rompait aussi, par de formidables orages, la langue de terre qui faisait jadis de ce dernier golfe un lac intérieur : trente villages en une fois y furent engloutis. Un semblable désastre eut lieu encore en 1825. Que l’antique tradition attachée au souvenir de l’émigration des Cimbres fût exacte de tout point ou seulement en