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voir dans Pline, avaient été proposées. A vrai dire, la série des conjectures modernes n’a pas été moins bizarre, jusqu’à ce que la science eût nettement reconnu que l’ambre est une résine d’arbres fossiles, d’une espèce disparue de conifères, qui, pendant les premières époques du continent européen, couvrait les rivages de la Baltique et de la Mer du Nord. Lorsque, par la tempête, les flots sont violemment agités, ils arrachent du sol ces fragmens, qu’ils roulent et dont ils se jouent, mais qui, grâce à une densité presque égale à celle de l’eau de mer, montent à la surface pour aller s’échouer sur la plage. Cette origine de l’ambre, Pline et Tacite la connaissaient en partie, puisqu’ils préfèrent, entre autres dénominations, le mot de succin, de nature à marquer qu’il s’agit du suc d’un arbre ou d’une résine. La curiosité de leurs contemporains admirait ici deux choses : d’abord la propriété électrique, éveillée par le frottement, et puis cette intéressante particularité, la fréquente présence d’insectes ou de fragmens végétaux dans l’intérieur même de la matière translucide. Martial a, de son style le mieux aiguisé, adressé de jolies épigrammes à l’abeille, à la fourmi, au vermisseau emprisonnés de la sorte :


« Enfermée dans une larme des Héliades, voyez briller cette abeille; elle apparaît captive dans son propre nectar. C’est ainsi qu’elle recueille le prix de ses merveilleux travaux. Elle-même sans doute aura choisi cette tombe.

« Pendant qu’il rampait sur les branches que mouillent les larmes des Héliades, ce vermisseau s’est vu pris dans la liqueur visqueuse. Cesse, Cléopâtre, de vanter ton royal sépulcre; un vermisseau repose dans un cercueil plus précieux que le tien. »


Les petits vers de Martial n’avaient pour but que de plaire aux belles dames de Rome et à la cour de l’empereur; il est donc évident qu’il avait pris pour sujet non pas une particularité obscure, mais ce qu’on remarquait autour de lui avec surprise. Cette surprise, en excitant l’imagination des Romains, aurait pu les mettre sur la voie de l’étude et les avancer vers la science. Une attention prolongée, une curiosité sérieuse leur aurait préparé d’autres motifs d’admiration, lis ne se seraient pas seulement convaincus que cette délicate substance avait été une des premières occasions de communications et d’échanges entre les peuples, ils eussent pu remarquer encore que la faune et la flore révélées par l’ambre n’étaient pas celles de leur temps, mais qu’ils avaient sous les yeux les authentiques témoignages d’un nord primitif, digne objet des scrupuleuses recherches de la science moderne.