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sympathies des libéraux, des démocrates et de la France presque entière. Entre elle et les peuples sacrifiés par la sainte-alliance, la haine des traités de 1815 avait établi une sorte de solidarité morale. Avant d’être formulé, sans qu’on en raisonnât les principes, surtout sans qu’on en soupçonnât les conséquences, le droit de nationalité était implicitement la foi de toutes les classes de la société française qui ne tenaient pas à l’ancien régime. La France en revenait ainsi à son rôle de la fin du XVIIIe siècle, alors que la révolution se présentait en émancipatrice de tous les peuples. Il n’est pas un de ses plus grands écrivains qui ne l’ait intéressée à l’une ou l’autre des nations opprimées, à la Grèce, à l’Italie, à la Pologne, ou à toutes à la fois. Par sa littérature comme par ses principes politiques, la France a été la complice de toutes les causes nationales. Ce penchant était chez elle si naturel que, depuis un siècle, aucun des régimes si divers qu’elle s’est donnés ou laissé imposer n’a su y résister. Fait unique dans l’histoire, chacun de ces gouvernemens si vite renversés a marqué sa courte existence par l’affranchissement total ou partiel d’un peuple. Sous Louis XVI, ce sont les États-Unis d’Amérique ; sous la révolution et le premier empire, l’Italie et la Pologne ; sous la restauration, la Grèce ; sous la monarchie de juillet, la Belgique ; sous le second empire, l’Italie, sans compter cet autre petit peuple latin, la Roumanie, qui, pour avoir à sa tête un prince prussien, n’en doit pas moins à la protection française son unité et sa précaire indépendance. Toutes ces entreprises, depuis la guerre d’Amérique, où se précipitait l’ancienne noblesse française au risque d’en rapporter une révolution qui devait l’engloutir, depuis la Grèce tant chantée par nos poètes jusqu’à cette expédition de 1859, où les faubourgs de Paris, si hostiles à l’empire, acclamaient l’empereur partant pour la délivrance de l’Italie, toutes ces entreprises furent saluées par la nation avec un enthousiasme vrai, parfois naïf jusqu’à l’illusion, avec une sincérité de désintéressement dont aucun peuple n’a donné de pareils témoignages.

Telle était la France qui se présentait de loin au jeune Louis-Napoléon dans ses années d’exil. En face d’un tel courant de générosité, il devait se persuader, comme il le proclamait trente ans plus tard en partant pour Magenta, que cette politique d’affranchissement était pour la France une « politique nationale et traditionnelle[1]. » Tout le pays paraissait avoir adopté les rêves du prisonnier de Sainte-Hélène. C’était vers 1830, alors que le retour du drapeau tricolore semblait devoir affranchir l’Europe avec la France. Les noms de Pologne et d’Italie étaient comme le mot d’ordre des patriotes français heureux de les jeter en menace aux gouvernemens, et les

  1. Proclamation du 3 mai 1859.