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toujours beau jeu. Je soutenais la thèse que, par ses annexions forcées du Slesvig, de Francfort, de l’Alsace-Lorraine, dont on s’était bien gardé de consulter les populations, tant on était sûr de leur refus, la Prusse était entrée dans cette voie de la conquête arbitraire que l’Allemagne avait jadis reprochée si amèrement au premier Napoléon, — que, comme lui, elle serait fatalement entraînée à vouloir consolider l’œuvre de la violence par de nouvelles violences, — que, comme lui peut-être, elle y réussirait pendant quelques années, mais qu’au bout d’un temps donné, dès que la fortune changerait, l’édifice s’écroulerait plus vite encore qu’il ne s’était élevé. Par exemple, leur dis-je, l’adjonction du Danemark, au moins du Jutland, de la Hollande et de tout ou partie de la Belgique vous paraîtrait déjà désirable, et vous semblera bientôt nécessaire…

— Oh ! quant à nous, interrompit notre commensal hollandais, j’espère bien qu’on n’y pense pas en Allemagne.

L’Allemand regarda l’interrupteur d’un air surpris, et lui répondit par un brusque « pourquoi pas ? »

— Mais enfin, reprit le Hollandais, pourquoi donc en voulez-vous à notre tranquille pays, qui ne vous fait aucun mal, qui ne saurait vous inquiéter, et dont la possession ne pourrait augmenter notablement votre puissance déjà si grande ?

— Mon cher monsieur, répondit l’Allemand du ton le plus courtois, si j’en juge par vous, je crains de m’être mépris sur les sentimens qui règnent en Hollande. Je croyais vos compatriotes mieux éclairés sur leurs véritables intérêts ; mais, puisque nous avons touché cette corde, permettez-moi de vous dire pourquoi, à mon point de vue allemand, je désirerais qu’ils s’unissent d’eux-mêmes à l’Allemagne nouvelle. — Vous comprenez bien que la grande idée de l’unité germanique, au nom de laquelle nous avons affronté le choc d’une puissance telle que la France, n’est pas de celles que nous puissions limiter par égard pour de petits préjugés locaux. Pour le moment, nous consentons bien à laisser à l’empire autrichien huit ou neuf millions de Germains qui travaillent à fonder la suprématie du germanisme dans des régions encore revêches à notre influence ; ils nous reviendront quand l’œuvre sera terminée. Quant à vous, Hollandais, il n’y a aucun motif de ce genre pour vous laisser en dehors de la grande unité. Vous êtes Germains comme nous. Votre langue est germanique, et dérive de la nôtre. La Hollande faisait autrefois partie de l’empire allemand. Tout récemment encore le roi de Hollande, comme duc de Limbourg et grand-duc de Luxembourg, était membre votant de la diète germanique. C’était pour nous une garantie que nous n’avons plus. Le roi de Hollande en effet ne pouvait décemment faire la guerre au duc et au grand-duc réunis dans sa personne, ni favoriser leurs ennemis. Aujourd’hui