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LE THEATRE
DE 1869 A 1872

Si jamais théâtre s’est peu soucié de reproduire l’image de son temps, c’est sans doute celui d’aujourd’hui. Il faut que le miroir dont parle Molière, et qu’il met dans la main de la Comédie, se soit perdu, que celle-ci ait renoncé à le trouver, ou que nous soyons nous-mêmes bien différens de ce que nous supposons. En effet, entrez dans la plupart des salles de spectacle, parcourez quelques-unes des œuvres dramatiques récentes : vous diriez qu’il n’y a rien de changé dans notre pays, qu’il n’est rien arrivé durant les trois années qui viennent de s’écouler. Il semble que la guerre étrangère et la guerre civile n’aient été pour les jeux de la scène qu’un entr’acte plus long que les autres. Le rideau était tombé sur des exhibitions, sur des caricatures en musique, sur des gaîtés triviales où les types de la sottise humaine étaient poussés jusqu’à l’invraisemblance, sur des scandales de mœurs tirés de leur cachette ou du cerveau des auteurs, sur des finesses maladives, des frivolités prétentieuses. Il s’est levé à peu près sur des choses toutes semblables. Ce qui était par exception élevé, délicat, naturel, reste le même, et la leçon des événemens ne paraît pas avoir été nécessaire aux esprits distingués à qui nous le devons ; mais ce qui était équivoque, immoral, entaché de vulgarité, ne s’amende pas.

Le théâtre est lent dans ses évolutions, et le goût n’a pas de changemens brusques ; mais à des besoins d’esprit nouveaux il faut une littérature qui ait des tendances nouvelles. On n’exige pas des auteurs dramatiques des homélies pour redresser la morale publique ou pour prêcher aux citoyens leurs devoirs : à cet égard, ils sont quittes de toute obligation, s’ils n’offrent pas à la foule des distractions que l’honnêteté désavoue. On attend de leur conscience