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rencontre assez rarement pour éveiller l’attention : ce n’est pas)a faute de la critique si le succès réel ne l’a pas suivie, et surtout si l’écrivain n’a pas justifié depuis les espérances auxquelles donnait lieu son essai.

La conception de Patrie n’était pas commune : une femme qui trahit un époux trop dévoué au service du pays pour s’occuper d’elle et de son amour ; un époux qui pardonne à l’amant de sa femme en vue d’un grand et noble but, celui de délivrer ses concitoyens du joug de l’étranger. Peu importe que M. Sardou soit redevable de cette idée à la pièce du Bourgeois de Gand, où elle est d’ailleurs reculée dans le passé, et, comme on disait autrefois, dans F avant-scène : le drame intime qui en résulte pouvait à merveille s’incorporer dans le drame politique de là délivrance des Pays-Bas. Si la composition n’a pas eu le suffrage des hommes de goût, c’est que M. Sardou n’a pas su ou voulu fondre ensemble le sujet public et le sujet particulier. Il s’ensuit que la lutte des passions ne réchauffe pas le spectacle très froid des événemens extérieurs, et que l’intérêt de la cause nationale ne vient pas ennoblir une intrigue d’amour fort vulgaire. D’un côté, nous avons des tableaux de conspiration, de combats, de villes soumises par la force, de cours martiales, de supplices, de processions, qui n’ont aucun besoin du secours d’un drame pour enchanter les yeux de la multitude sur une scène à grands spectacles ; de l’autre, une mésaventure conjugale, un amour illégitime avec toutes ses misères, moins la passion, des explications à huis-clos, la situation fausse de deux amans fatigués l’un de l’autre, et dont le public est encore plus fatigué, le tout transporté dans un autre siècle et dans un monde idéal dont une telle aventure n’est pas digne. Voilà ce qu’est devenue entre les mains de M. Sardou cette conception, qui méritait un meilleur sort. Tant que l’auteur ne s’efforcera pas de mettre de l’unité dans ses drames, il ne réussira pas à faire une œuvre d’art.

Ce n’est pas que l’on ne trouve dans Patrie les qualités ordinaires de ses pièces de théâtre. Esprit inventif, M. Sardou sait engager les scènes les unes dans les autres de manière qu’elles ne se produisent pas au hasard. Une déposition qui sauve de la mort Rysoor, le mari trompé, lui apprend la trahison de sa femme. Les efforts de l’épouse adultère pour mettre son amant en sûreté causent la perte de celui-ci. Rysoor découvre le complice de sa femme dans la situation la plus solennelle où le place son patriotisme. Tout cela prouve à quel point M. Sardou est maître des ressources dont il dispose. Il connaît son théâtre ou plutôt ses théâtres, car il a conquis une sorte d’universalité sur les scènes secondaires ; il connaît son public, ses acteurs. Nul ne ressemble mieux à M. Scribe, sur lequel