Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et il avait d’inépuisables Indulgences pour les fauteurs de séditions. Il ressemblait à un homme qui serait plein de consternation devant un incendie, qui prodiguerait son dévoûment personnel, et qui ne voudrait pas qu’on employât les pompes ou qu’on arrêtât les incendiaires occupés à entretenir l’incendie. Il n’avait ni une foi suffisante en lui-même, ni l’intelligence bien nette de la situation, ni une volonté bien précise. Il craignait surtout d’être accusé de réaction ou de trahison envers la république, et naturellement la faiblesse qui était en haut passait à tous les degrés de la hiérarchie administrative, politique, judiciaire, militaire.

C’était une sorte de désarmement ou d’énervement des forces sociales à l’heure où elles auraient dû fonctionner avec le plus d’énergie, et ici qu’on observe un instant tout ce qu’il y avait de douloureux, de dramatique, dans le rôle d’un homme comme le général Trochu, qui se trouvait brusquement jeté au sommet de ce gouvernement de la défense nationale et de la transaction universelle. Par son instinct de soldat, il ne croyait pas au siège, c’était lui qui avait donné d’avance le nom d’héroïque folie à tout ce qu’on allait faire, comme politique, il était obligé de paraître croire au succès, d’entretenir, d’encourager chez les autres des illusions qu’il ne partageait pas, de pousser jusqu’au bout une défense qu’il savait impossible ; il fallait même qu’il eût l’air de croire à la garde nationale, quoiqu’il n’y crût guère. Ce que le général Ducrot avait le droit de dire parce qu’il n’était qu’un soldat, le gouverneur de Paris ne pouvait le sanctionner de l’autorité de sa parole. Comme militaire, le général Trochu sentait bien que l’état de siège avait ses nécessités, qu’on ne pouvait sérieusement se défendre en permettant tout, en laissant diffamer ou divulguer toutes les opérations, en ménageant tous les factieux ; comme chef du gouvernement, il était obligé de se prêter à ce que désavouait sa prévoyance de commandant d’une capitale assiégée. Il imaginait la théorie des courons contraires qui se neutralisent ; il ne pouvait pas réprimer, il était un « gouvernement d’opinion ! » Après le général Trochu, s’il est quelqu’un qui représente fidèlement cette situation pleine de douloureuses perplexités, c’est le préfet de police, M. Cresson, un homme de beaucoup de droiture, d’une grande sagacité d’esprit, d’une volonté ferme, et dont la déposition pleine de sincérité a un accent presque émouvant. Arrivé à la préfecture de police après le 31 octobre, M. Cresson s’épuise à ressaisir les garanties les plus élémentaires d’ordre public, il se débat contre les états-majors, contre les mairies, contre le parquet, contre le gouvernement lui-même, au point de quitter un jour vivement le conseil en s’écriant : « Je vois que vous n’avez pas besoin de préfet de police, je me retire ! » Son administration est un vrai drame, une défense de tous