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il semble que l’air de l’Allemagne en soit changé, et je puis dire même empoisonné. » La France au contraire pesait d’un poids léger dans la balance. Épuisée et pleine de factions, les rapports diplomatiques s’accordaient à la peindre des plus tristes couleurs ; on représentait le régent comme un homme sans énergie ni bonne foi, paresseux d’esprit et de corps, haï du peuple, odieux aux troupes, méprisé de ses partisans, jouant à peine le sixième rôle dans son gouvernement et menacé d’aller achever sa régence à la Bastille.

Dubois eut le mérite de discerner l’unique chance favorable et de la saisir. Il attaqua le roi par l’intérêt dynastique, et s’efforça de changer en sentimens de confiance et d’estime ses préventions contre le régent. Tout son travail porta sur ce point ; il fit jouer selon cette vue les ressorts de son intrigue, appliquant à la guerre diplomatique ce grand principe des stratégistes en galanterie : celui qui a le cœur a tout. Il gagne le cœur du roi, et par ce coup de maître frappe d’impuissance ses adversaires. George l’autorise à lui écrire en confidence et sans intermédiaire, l’invite à ses chasses, lui donne son médecin, le présente à la reine de Prusse sa fille, le régale de son excellent vin de Tokay, « dont il était fort curieux, » et disgracie un de ses ministres, lord Townsend, qui s’obstinait à empêcher l’alliance. La volonté du roi, une fois déclarée, entraîna la cour et adoucit l’aigreur du parlement. Il faut donc attribuer à la séduction des qualités personnelles de l’ambassadeur une bonne part du succès. Dubois avait de l’esprit, dit Saint-Simon, qui pourtant ne le ménage guère ; il avait « assez de lettres, d’histoire et de lecture, beaucoup de monde, force envie de plaire et de s’insinuer, » tous les dehors, sinon tout le vertueux de l’honnête homme. Son humeur gaillarde, ses libres saillies réussissaient fort dans la meilleure société d’Angleterre, et lui-même faisait profession d’aimer cette nation un peu rude, mais sensée et vigoureuse. Il écrivait un jour à l’abbé de Saint-Pierre : « Je suis ici parmi les plus solides esprits qu’il y ait au monde, je veux dire les Anglais. »

Deux choses étaient en question dans les conférences de Hanovre : la paix de l’Europe et la stabilité du gouvernement français. Dubois avait pour maxime que. Il bs affaires étrangères sont l’Ame de l’état, » — vérité de tous les temps et même du nôtre ; il sentait bien que le régent, si chancelant jusqu’alors, — braverait les factions ainsi que l’étranger avec l’appui de. l’Angleterre, et qu’il gagnerait à cette alliance d’être respecté chez les autres et le maître chez lui. Aucune des conséquences de la négociation n’échappait à la sagacité du négociateur. Il était de ces politiques clairvoyans et prompts qui en toute affaire vont droit à l’essentiel, marquent nettement le but et enlèvent ou tournent l’obstacle avec résolution. Son style exprime