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d’encourir une dénomination tenue désormais à Rome pour hérétique.

Enfin Codde mourut. Que faire ? Les dispositions à Rome étaient moins conciliantes que jamais. Le chapitre, aux yeux du pape, était frappé d’une sentence de suppression. Cette sentence, qui dans l’opinion du chapitre était sans aucune espèce de valeur, devait-elle l’exempter de son devoir impérieux, de l’obligation de nommer selon les canons un successeur à l’archevêque défunt ? Un diocèse qui a vu au XVe siècle l’erreur d’un pape à son égard redressée par son successeur a le droit d’espérer qu’il en pourra être de même au XVIIIe. Après mainte hésitation, après s’être entouré de toutes les lumières possibles, après avoir reçu l’avis favorable de beaucoup d’évêques et des plus célèbres facultés de théologie, le chapitre fit le pas décisif. Se conformant minutieusement aux canons et coutumes ecclésiastiques en vigueur dans le diocèse, il nomma un archevêque (1723) et notifia respectueusement son choix à Innocent XIII. Ni lui ni son successeur Benoît XIII ne se montrèrent disposés à un rapprochement quelconque, ou plutôt le dernier répondit à la notification réitérée en prononçant l’excommunication sur le chapitre et le nouvel évêque. Le schisme était fait.


II

Quel jugement, au point de vue catholique, faut-il porter sur la légitimité de la conduite adoptée par le chapitre ? La question n’est rien moins que simple. La solution dépend entièrement de la manière dont on conçoit le catholicisme. Il est clair que, si l’on part du principe ultramontain, qui fait du pape le souverain absolu, le dictateur infaillible de l’église, la conduite du chapitre d’Utrecht est condamnable. La question de savoir si le saint-siège en cette occurrence a bien ou mal jugé ne se pose même pas. Roma locuta, causa audita est. Si au contraire on adopte le principe épiscopal ou gallican, il n’est pas permis de trancher ainsi les choses. Sans doute le catholique gallican redoute le schisme et professe la déférence la plus respectueuse pour le saint-père et son autorité ; mais cette autorité qu’il reconnaît au saint-siège n’est pas l’infaillibilité. Il est arrivé quelquefois que le pape a mal jugé, que, mal renseigné, il a pris des décisions regrettables. En pareil cas, on peut, on doit en appeler de ses décisions, et, si la discipline de l’église suppose que le pape peut être amené à des résolutions molu proprio réclamées par l’urgence du mal à combattre, le consentement, au moins tacite, du corps épiscopal demeure en droit la sanction des mesures