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LES ÉCOLES D’APPRENTIS.

À défaut des ouvriers, c’est à la communauté qu’il appartenait d’y pourvoir ; la protection des faibles est pour elle de devoir étroit. Nous allons voir par quels moyens, dans quelle mesure elle s’en est acquittée. Elle a d’abord donné la parole à la loi, plus d’une fois modifiée et toujours impuissante ; elle a fait appel ensuite aux dévoûmens privés, aux contributions volontaires, qui ont produit quelque bien dans les sphères limitées où ils ont agi. Enfin elle a pris appui dans l’action municipale, qui de toutes paraît être la plus féconde. Déjà d’heureux effets avaient été produits par des prix et bourses d’apprentissage distribués avec discernement ; l’essai sera prochainement complété par la création d’une école d’apprentis, dont il va être question.

I.

On a dit et répété, sur la foi de traditions au moins équivoques, que l’apprentissage était mieux constitué, entouré de plus de garanties sous le régime des corporations que de nos jours. Rien n’est moins fondé. Aucun de nos véritables économistes n’a pris le change là-dessus, Jean-Baptiste Say moins qu’un autre ; de l’ancien apprentissage, il ne signale que les abus, toujours crians, toujours les mêmes, pires quelquefois dans des professions fermées. Au fond, jadis comme aujourd’hui, de quoi s’agit-il ? Du choix du métier. Eh bien ! aujourd’hui comme jadis, le hasard en décide. Personne n’en a mieux parlé, avec plus de cœur et de sens que M. Corbon[1]. « Voici un enfant de treize ans, dit-il : il n’a pas cessé d’aller à l’école depuis sa septième année ; c’est pour nous autres de la classe ouvrière un enfant instruit, c’est un savant pour son père et sa mère : aussi songent-ils qu’il est grand temps de le retirer de l’école et de faire choix pour lui d’un bon état ; mais quel état ? » Toujours le même problème, sans acception de temps ni de classe. Que fera l’enfant ? Rien par lui-même, et presque toujours ses parens seront aussi embarrassés que lui. Pourtant il faut prendre un parti, le besoin presse, et alors le choix est à la merci du moindre incident. Ce sera une offre banale, l’appât d’un gain immédiat, l’exemple d’un camarade, un embauchage de rencontre, un goût superficiel pris pour une vocation réelle, en un mot un caprice, un engouement plutôt qu’une détermination réfléchie. C’est ainsi que l’enfant est jeté dans l’atelier au milieu de visages inconnus, presque toujours sans notions préparatoires. À quoi l’y emploie-t-on d’abord ? Moins à s’instruire qu’à servir. Il est trop jeune, trop inexpérimenté, pour qu’on lui confie de la besogne, même à dégrossir.

  1. De l’enseignement professionnel.