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personnages mis en scène, diffère d’une lettre de Sévigné, ni en quoi non plus, si ce n’est le degré de culture intellectuelle et de raffinement de la pensée, elle diffère d’une lettre de Du Deffand. C’est la même justesse de langue, c’est le même ton aisé et qui se joue. Élise est aussi réfléchie que sa sœur, mais moins réservée. Sa vivacité d’esprit, son humeur abandonnée, sa facilité de contentement et sa gaîté, à qui tout est prétexte, forment un parfait contraste avec le caractère de Julie. Elle a de la philosophie, comme sa sœur de la sagesse. Elle rappelle le personnage si charmant de Claire d’Orbe dans la Nouvelle Héloïse. Elle n’a pas plus tôt vu André une ou deux fois qu’elle est tout de suite gagnée à lui. « Il m’intéresse, dit-elle, par sa franchise, sa douceur, et surtout par ses larmes, qui coulent sans qu’il le veuille. Pas la moindre affectation, point de ces phrases de roman qui sont le langage de bien d’autres. Arrange-toi comme tu voudras, ma bonne Julie, mais laisse-moi l’aimer un peu avant que tu l’aimes ; il est si bon ! » Il ne faut pas qu’on lui dise, à elle, qu’André manque d’usage. Elle riposte vivement, et elle définit ce manque d’usage du beau nom de « simplicité. » Elle pénètre la première ce je ne sais quoi de supérieur qui perce sous la gaucherie, ce qu’elle appelle d’une expression heureuse et originale le petit coin caché d’Ampère. Elle fait des enquêtes auprès de tous les braves gens du pays, elle interroge les peigneurs de chanvre qui font leur tournée de maison en maison, et elle apprend avec joie que les peigneurs de chanvre ont dit à Claudine « que chez la veuve Ampère c’était la maison du bon Dieu, que la maman et le fils étaient si bons, si bons, que c’était plaisir chez eux ! » Et lorsqu’André arrive à Saint-Germain-du-Mont-d’Or avec une anglaise toute neuve, lorsqu’il achète un chapeau de toile cirée et des culottes à la mode, comme elle s’émerveille de sa tournure ! comme elle s’irrite contre ceux qui ne trouvent pas ses toilettes du dernier goût ! Toutes les maladresses du pauvre André, toutes ses indiscrétions et ses timidités deviennent sous sa plume des tableaux d’une gentillesse qui ravit. Elle lui conseille les savantes manœuvres qu’il n’eût jamais inventées de lui-même, en sa simplicité d’or, pour forcer Julie aux doux aveux. C’est ainsi qu’un beau jour André, qui ne se croit pas aimé, se décide à faire semblant de ne point penser à Julie, et Julie donne dans le piège. « Je m’assis en conséquence dans le verger, loin de Julie, qui me regarda plusieurs fois d’un air d’étonnement et d’inquiétude. » On peut bien dire que cette sœur bonne et spirituelle arrive à les unir malgré eux, l’un n’osant jamais dire assez haut qu’il aime, l’autre n’osant point avouer qu’elle consent d’être aimée. Élise les enlève tous deux et les marie de verve.

Julie et Élise, l’une avec son sérieux, l’autre avec son enjouement, celle-ci avec sa promptitude inspirée de sympathie, celle-là avec son âme ferme et noble, lente à s’attacher, mais qui ne s’attache que