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profondément, paisiblement et pour toujours, sont deux types achevés de la femme française. Elles possèdent à un égal degré la rectitude dans les affections et dans le jugement. Elles ont le même fonds de simplicité cordiale et d’honnêteté. Dans l’une et l’autre, ce qu’il y a de plus aimable, c’est la sincérité de nature ; ce sont deux cœurs sans artifice et sans détour. J’en connais de pareils, même aujourd’hui, et je ne dis pas que la forme en soit perdue. Elle n’est peut-être plus aussi commune qu’en ce temps-là, car Julie et Élise, il faut le remarquer, ne sont point d’une élite, ce sont deux femmes prises littéralement au hasard dans la société bourgeoise d’une grande ville de province en l’an 1800. Je ne dis pas non plus qu’on ne trouve pas chez les formes d’à présent des vertus aussi hautes et aussi solides ; la qualité générale d’esprit et la trempe générale de caractère a certainement décliné. On rencontre beaucoup de femmes charmantes qui ne sont que frivoles, et beaucoup de femmes sérieuses auxquelles manquent un peu le désir et le don de plaire. L’élégance est faite de plus de luxe ; le bon sens, de plus de froideur et d’égoïsme ; la sensibilité, de plus de passion aveugle. Il entre dans la religion des femmes, — Élise et Julie, malgré la terreur et la fermeture des églises, étaient restées très religieuses, — plus de mollesse d’intelligence ; dans la libre allure de leur esprit, — Julie et Élise étaient aussi des esprits très libres, — plus de sécheresse et de pédantisme ; dans leur philosophie comme dans leur religion, plus de mode. Le soin du ménage nuit à la culture de l’imagination, et la culture exclut l’aptitude au ménage. L’équilibre n’y est plus. C’est par l’équilibre, c’est par l’association harmonieuse de dons divers et contraires qu’Élise et Julie semblent parfaites.

Il y aurait intérêt à rechercher comment se formaient et se composaient de tels caractères de femmes. Nous faisons la part de l’heureuse influence exercée sur elles par le milieu honorable et distingué où elles vivaient. Nous disions tout à l’heure que Julie et Élise ne faisaient point partie d’une élite ; mais les tenans et aboutissans de leur famille touchaient à beaucoup d’hommes remarquables dans leur sphère modeste. L’un des attraits de la correspondance publiée par Mme M. C… est précisément de mettre sous nos yeux quantité de noms, alors inconnus, qui ont acquis, soit quelques années plus tard, soit à la génération suivante, la célébrité ou la notoriété en diverses directions : Ballanche, Périsse, le jésuite Barret, Petetin, Vitet. L’aïeul maternel d’André Ampère lui-même et par conséquent le bisaïeul de Jean-Jacques Ampère était un M. Sarcey de Suttières, qui se trouve avoir fait souche de bonne et solide littérature dans la ligne masculine comme dans la ligne féminine. Julie et Élise ont sans doute reçu quelque chose du commerce plus ou moins assidu de leur famille avec tant de gens d’un vrai mérite. L’excellent fonds d’éducation leur vient pourtant d’ailleurs. Il leur vient