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prodigieuse. Dans les magnifiques jardins du roi dom Ferdinand à Cintra, en Portugal, j’en ai vu qui avaient grandi de 4 à 5 mètres par année. L’eucalyptus se contente d’un sol très sec ; mais on prétend qu’il assèche les terrains humides d’une façon étonnante, et on ajoute qu’il dégage des émanations fébrifuges très salutaires[1].

En résumé, quoi qu’on fasse, je pense qu’il faudra plus de temps pour conquérir la campagne romaine à la culture qu’il n’en a fallu pour faire l’Italie. Longtemps encore l’artiste pourra reproduire sur sa toile ces grands et mornes horizons sur lesquels se découpe la silhouette imposante des aqueducs en ruine, et ce n’est pas de sitôt que le buffle des marais et le cheval sauvage auront fait place aux villas des citadins et aux jardins des maraîchers. La malaria se défendra plus longtemps que le pouvoir temporel. En attendant il y a là pour les hommes instruits et entreprenans un champ d’études et d’expériences où l’on peut recueillir, outre des avantages matériels, la reconnaissance de l’Italie et l’estime du monde entier, à qui rien de ce qui concerne Rome ne peut être indifférent.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. La rapidité de la croissance de l’eucalyptus est vraiment prodigieuse. M. A. Lucy, ancien vice-président de la Société centrale d’horticulture de France, nous communique le fait suivant. Un eucalyptus semé à Hyères en 1850 avait, en 1871, 20 mètres de hauteur, 2m,20 de circonférence à 40 centimètres du sol, et ln,41 à 5n,80 du sol. — Autre exemple non moins extraordinaire : M. Hegulus Carlotti, secrétaire de la Société d’agriculture d’Ajavcio, a planté en Corse en 1865 et en 1866, dans les terrains du pénitencier de Castelluccio, quelques pieds d’eucalyptus qui mesurent aujourd’hui de 1m,25 à 1m,50 de circonférence. — M. P. Ramel, revenu en Europe après un long séjour en Australie, a consacré tous ses efforts à doter l’Algérie de cet arbre merveilleux, dont il avait pu apprécier la valeur dans la colonie anglaise. Aujourd’hui de nombreuses plantations d’eucalyptus prospèrent en Algérie. Dans un rapport lu à la Société centrale d’agriculture d’Alger, M. Trottier estime qu’après huit ans les plants d’eucalyptus, pouvant servir à faire des traverses de chemin de fer, produiraient 6,000 francs à l’hectare. M. le docteur Gimbert, de Cannes, dans une brochure intitulée l’Eucalyptus globulus, son importance on agriculture, en hygiène et en médecine, décrit les effets salutaires des émanations résineuses de cet arbre, qui appartient à la famille des myrtacées. On affirme qu’en Australie les plantations d’eucalyptus mettent fin aux fièvres paludéennes. La puissance d’absorption des feuilles et des racines de l’eucalyptus est aussi phénoménale que sa croissance et en est évidemment la cause. Voici une expérience faite par M. Trottier. « Le 20 juillet 1868, à six heures du matin, nous avons placé une branche d’eucalyptus dans un vase rempli d’eau ; à six heures du soir, la branche, qui le matin pesait 800 grammes, en pesait 825, et l’eau du vase avait perdu 2 kilogr. 600 grammes. » L’eucalyptus ne peut croître que dans la zone de l’oranger, car il ne supporte pas plus de 4 à 5 degrés au-dessous de zéro. Il faut le planter aussi tôt que la graine a germé, ou mieux encore le multiplier de semis sur place, parce que dès les premiers jours il pousse en terre un pivot d’une longueur démesurée, et si ce pivot est entamé lors de la transplantation, le jeune plant ne se développe pas bien. La campagne romaine, avec son sol fertile et humide et son chaud climat, conviendrait probablement à l’eucalyptus, qui comme bois de construction donnerait un revenu considérable. C’est évidemment une expérience à tenter, mais avec tous les soins voulus pour en assurer le succès.