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défiant qu’effrayé, et toujours disposé, selon le mot d’un des témoins de l’enquête, à répéter à propos de tout ce qu’on faisait passer sous ses yeux : « C’est un piège de la police ! » Non, ce n’était pas un piège de la police, c’était un faux système portant ses fruits naturels de désordre et de déception.

Un des phénomènes les plus significatifs, les plus extraordinaires dans ce mouvement renaissant d’opinion où l’empire, à un jour donné, jette comme un dérivatif la loi sur les coalitions, la loi sur les réunions publiques, c’est l’existence, le progrès rapide de cette association internationale des travailleurs, qui a été la concentration la plus originale, la plus puissante des aspirations ouvrières, de toutes les idées de démocratie et de socialisme fermentant dans certaines classes. Cette association, on sait aujourd’hui comment elle est née assez modestement d’un voyage de quelques délégués des ouvriers français à l’exposition de Londres en 1862 ; on sait comment elle s’est développée. à travers tous ces congrès de Genève, de Lausanne, de Bruxelles, de Bâle, qui en ont révélé la marche, les tendances, les déviations. Je ne voudrais point exagérer la part de l’empire dans l’apparition et dans les œuvres de cette nouvelle secte ; il ne reste pas moins vrai que le gouvernement impérial aide en quelque sorte l’Internationale à naître par les subventions accordées aux délégués envoyés à Londres en 1862, qu’il lui donne bientôt par la loi sur les coalitions ouvrières le plus énergique moyen de propagation et d’action, qu’il est presque en coquetterie avec elle, et qu’il ne songe enfin à l’entraver par des procès que lorsqu’il a perdu l’espoir de la faire entrer dans ses plans de politique populaire ; mais alors il n’est plus temps, l’association a grandi, et les poursuites judiciaires ne sont pour elle qu’un stimulant de plus, un moyen de notoriété et de popularité. Le fait est ainsi : en 1862, on donne de l’argent pour le voyage de Londres, le prince Napoléon est un intermédiaire empressé. En 1869, l’association est assez forte pour se tourner contre l’empire et contre bien d’autres choses.

Par quel travail intérieur, par quelle série de transformations ou par quel concours d’influences l’Internationale est-elle devenue ce qu’on l’a vue ? C’est une histoire qui n’a presque plus de mystères aujourd’hui. Elle est écrite à chaque page de l’enquête, particulièrement dans les libres et nettes dépositions de M. Héligon, de M. Tolain, de M. Fribourg, — des hommes, ouvriers eux-mêmes, à la fois intéressés et désintéressés, puisque, après avoir été les premiers fondateurs de l’Internationale, ils s’en sont séparés. Le rapport de M. Ducarre, député de Lyon, décrit d’un trait saisissant le rôle de l’association dans la ville où il est encore manufacturier