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mens nouveaux, elle doit aussi fortifier la société tout entière en cimentant pour ainsi dire l’unité morale de la nation sous le drapeau, en propageant les habitudes de discipline, en réalisant cette fusion des élémens militaires et des élémens civils qui peut avec le temps donner une trempe plus vigoureuse, une solidité nouvelle au tempérament national. De toute manière, c’est une école ouverte de patriotisme et de régularité. Il ne reste pas moins toujours à faire passer le principe de l’obligation personnelle dans la réalité des choses, à la combiner avec une multitude d’autres nécessités, avec ce qui est possible dans les conditions d’une société aux mœurs, aux traditions, aux intérêts infiniment compliqués. Comment fera-t-on ? Toute la question est là. Le service obligatoire est admis dès ce moment, c’est entendu ; il s’applique indistinctement à tous les jeunes gens qui atteignent chaque année l’âge voulu pour aller sous les drapeaux. Qui ne voit cependant que, si on voulait appliquer le principe dans toute sa rigueur, sans tenir compte de rien, on arriverait inévitablement à des impossibilités absolues ? Il y aurait de quoi épuiser le budget le plus puissant, et d’un autre côté on s’exposerait au danger d’affaiblir le pays en dépeuplant momentanément toutes les carrières des sciences, des arts, de l’industrie, de l’agriculture, en suspendant ou en ralentissant le travail sous toutes les formes. Si l’on veut faire du service obligatoire une loi sérieuse, féconde et durable, la première condition est donc de le rendre possible, non certes par des exemptions de privilège, par un système d’inégalité arbitraire dans la répartition d’une charge à laquelle nul n’a le droit de se dérober, mais par des combinaisons prudentes, équitables, destinées à concilier tout à la fois l’intérêt de l’armée, l’intérêt du budget, l’intérêt de la société tout entière.

C’est là justement ce que la commission des quarante-cinq a essayé de faire dans ce projet qu’elle prépare depuis un an, et qu’elle vient de livrer aux débats publics de l’assemblée nationale après s’être entendue avec le gouvernement sur les points essentiels. La commission à maintenu sérieusement, fermement, le service obligatoire pour tout le monde, elle est restée fidèle à un principe que lui apportait en quelque sorte la bonne volonté du pays, et en même temps elle s’est visiblement appliquée à résoudre de la manière, la plus équitable, la plus pratique, les difficultés de tout genre qu’elle rencontrait à chaque pas dans son œuvre aussi délicate que laborieuse. Elle a tenu compte de tout autant que possible sans abaisser l’honneur du principe sous la protection duquel elle plaçait son projet. Elle a fait la part de l’intérêt militaire dans la durée du service pour l’armée active, de l’intérêt du budget dans la distribution du contingent annuel, de l’intérêt des professions libérales, de l’industrie, de l’agriculture, par les dispenses ou les sursis temporaires qu’elle a inscrits dans sa loi. Aurait-on pu faire mieux ? Il est possible que des esprits absolus se fussent précipités plus résolument dans une expérience