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lut employer pour faire sauter ses murailles et ses tours, aux fragmens de ses tombes, que la pioche s’est lassée de morceler, les curieux doivent les aller chercher au palais abbatial, dont le propriétaire actuel, M. Ochier, avec une libéralité traditionnelle[1], a transformé en musée ouvert au public quelques-unes des salles et des galeries. Ils y trouveront un certain nombre de chapiteaux curieusement sculptés, des fragmens intéressans des tombes de saint Hugues et de Pierre le Vénérable. Nous nous abstiendrons de décrire ces fragmens, qui perdent une partie de leur intérêt à n’être pas vus sur place, et qui ne sont pas même des membres séparés du grand corps dont ils faisaient partie, mais des atomes désormais épars et sans cohésion. Pour tout ce qui regarde ces restes de l’abbaye et l’ancienne abbaye elle-même, nous nous faisons un devoir d’inviter tout curieux à se munir en Bourgogne d’un petit livre paru il y a peu de temps et écrit par M. Penjon, habitant de Cluny même, travail excellent où ils trouveront de toutes ces miettes un catalogue aussi minutieux que fidèle. Ils y trouveront encore, hélas ! une révélation bien tristement curieuse, car ils y apprendront que ce n’est pas à la révolution française qu’il faut attribuer la destruction de cette église abbatiale, chef-d’œuvre de l’architecture romane et merveille unique au monde. L’église abbatiale était tout entière debout au sortir de la révolution, et les habitans de Cluny firent tout ce qu’ils purent pour la sauver ; mais le consulat, qui avait de bien autres soucis que ceux de l’architecture, resta sourd à leurs réclamations, et l’église, mise en adjudication à plusieurs reprises, tomba sous la pioche des compagnies de démolitions restées célèbres sous le nom de bande noire.

Cluny présente un curieux spectacle. Son abbaye a disparu, et il n’est encore quelque chose que par elle, il ne vit matériellement que d’elle. À l’exception de son église paroissiale de Notre-Dame, église gothique fort sombre où règne un crépuscule éternel, Cluny ne possède rien qui ne soit un démembrement de l’abbaye. C’est l’abbaye qui lui tient lieu d’hôtel de ville et de justice de paix ; c’est dans les immenses bâtimens de l’abbaye transformés en salles d’étude et en dortoirs qu’on a installé le collège et l’école professionnelle qui fut instituée, il y a quelques années, sous le ministère de M. Duruy ; c’est donc grâce à l’abbaye qu’on a pu loger le surcroît de cette jeune population qui est un des élémens de la modeste prospérité de Cluny, et qui l’aide doucement à vivre. Un

  1. En parcourant les registres des bienfaiteurs de l’hôpital, curieux par les noms qu’ils contiennent, j’y trouve bien des fois au XVIIe siècle celui de membres de cette famille, tous dans les ordres.