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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/604

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Les explications qu’il donne à ses amis ne font que nous confirmer le vice radical de sa méthode même. A travers des tâtonnement et après des transformations d’une fécondité douteuse, il en reviendra toujours à ce premier point de départ. Ce qu’il appelle sa méthode, c’est la détermination de l’idée du droit, de l’idée de justice distributive, dont la solution est par lui cherchée dans l’égalité absolue. Cette donnée ne paraît avoir rien d’original. C’est de la même idée que partait Platon dans cette République qu’on ne peut guère au surplus comparer aux utopies modernes sans tomber dans toute sorte de contre-sens philosophiques, car, avec des apparences parfois semblables, rien dans le fond ne diffère davantage. D’autres utopistes avaient aussi fondé leurs systèmes sociaux sur la justice distributive aboutissant à l’égalité. Proudhon se proposait de renouveler cette vieille idée de l’égalité absolue en s’aidant du dernier état des sciences sociales. Il prétendait prouver que toutes les théories imaginées par les philosophes et les légistes supposent implicitement cette égalité. A l’aide de cette donnée, il entendait faire de l’économie politique une science mathématique, pouvant déterminer, « par une simple règle de société, » la part revenant à chacun selon l’équité, a Pour la première fois, écrit-il à un de ses correspondans, une vraie méthode aura été employée en philosophie et aura véritablement démontré par une analyse propre ce qui, par voie d’intuition et de tâtonnement, resterait à jamais caché, parce que l’intuition et le tâtonnement ne prouvent rien… Je crée une méthode d’investigation pour les problèmes sociaux et psychologiques, comme les géomètres en créent pour les problèmes des mathématiques. » On remarquera ce mot de psychologiques, qui vient s’ajouter aux problèmes sociaux. C’est la science universelle de l’homme et de l’humanité qu’entrevoit Proudhon. Il ne doute pas qu’il n’accomplisse une œuvre utile, méritoire. « Au feu de l’épreuve, mon âme s’épure, et je me détache de tout esprit de propriété scientifique et littéraire ; savoir avec certitude, le dire avec force, clarté et précision, c’est le seul bien où j’aspire. » À ces élans de confiance revient se mêler pourtant l’angoisse. « Voir et savoir est la vie des êtres pensans ; mais que cette vie est dure ! Depuis le jour où Jean-Jacques Rousseau écrivit la profession de foi du vicaire savoyard, aucun homme peut-être n’a eu une conscience plus forte de la vérité de ses écrits, aucun n’a été livré à une tristesse plus profonde que la mienne. »

On a bien des fois apprécié la portée de ce livre de la Propriété au point de vue des idées de droit et d’économie politique ; mais en dehors des purs disciples il n’avait pas encore eu peut-être de juge aussi favorable que M. Sainte-Beuve. Il ne s’agit plus ici de cette pénétration bienveillante, presque affectueuse, qui le porte à