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Pico a neuf lieues de long ; j’en ai fait le tour à pied et à petites journées, pendant le mois de novembre 1867. À cette époque, la population de l’île traversait une crise terrible dont elle commence à peine à se relever. Depuis plusieurs années, sa principale ressource était anéantie. Les ravages causés par l’oïdium avaient été tels qu’on avait arraché presque tous les plants de vigne. En 1852, les vignobles de Pico produisaient 25,000 pipes d’un vin sec ayant quelque analogie avec le madère ; dès l’année suivante, le développement du redoutable champignon parasite avait réduit la récolte au cinquième, et quelques années plus tard la fabrication du vin avait complètement cessé. En 1867, on aurait vainement cherché une grappe de raisin dans l’île. La douceur et l’humidité du climat ont annihilé les remèdes tentés et rendu le fléau irrémédiable. Aujourd’hui on recommence à introduire quelques ceps d’origines diverses ; mais on ne peut encore fonder que de vagues espérances sur ces essais. La destruction de la vigne a été d’autant plus désastreuse à Pico que la nature du sol, dans la plupart des points où elle était plantée, ne permet guère d’autre culture. Elle poussait au milieu des laves, dans des endroits totalement privés de véritable terre végétale. Les racines des ceps s’enfonçaient dans du gravier volcanique dont on remplissait les creux de la roche. Ni graminées, ni légumineuses, ni solanées, ne peuvent donner de récolte passable dans un pareil terrain. On s’est borné, faute de mieux, à y planter des figuiers, surtout des abricotiers, dont les fruits sont employés pour fabriquer de l’eau-de-vie.

Une grande partie de la population, chassée par la misère, a quitté le pays. L’émigration s’est tournée d’abord vers le Brésil ; en 1867, cette dissection primitive du courant d’émigration durait encore et était presque exclusivement suivie. Depuis lors, le flot des émigrans s’est divisé ; une portion notable se porte vers les États-Unis et spécialement vers la Californie. Les émigrans de Pico sont travailleurs et économes, peut-être même un peu rapaces. Ils ressemblent, sous bien des rapports, à nos Auvergnats, comme si, dans des pays aussi éloignés que les Açores et la France centrale, la même nature du sol avait donné les mêmes qualités morales aux indigènes. De même que les Auvergnats, après avoir amassé un petit pécule à l’étranger en exerçant tous les métiers possibles, ils s’empressent de revenir à la terre natale, où ils se marient et se fixent définitivement. Quand on voit à Pico une jolie petite maison bâtie auprès de quelque pauvre village, on peut être certain qu’elle appartient à l’un de ces heureux aventuriers. Ceux qui ont vécu au Brésil ont peu modifié leurs habitudes et leur régime antérieur, mais ceux qui reviennent des États-Unis semblent transformés. Ils