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car les Turcs avaient pris un excellent moyen pour ne pas le leur laisser oublier. Dès que la nouvelle de la catastrophe s’était répandue à Constantinople et à Smyrne, le peuple saisi de frénésie s’était rué sur les raïas et les avait massacrés. Tchesmé était un nom qui devait éveiller la terreur chez les Turcs, la soif et l’espoir de la vengeance chez les Grecs.

III.

L’équipement d’une flotte ne se fait pas seulement avec de l’enthousiasme. Les trésors des primats d’Hydra avaient été mis largement à contribution par les insurgés. Les menaces du peuple leur avaient arraché dès les premiers jours près de 800,000 francs. Telle famille arma plus tard à elle seule, pour la cause commune, jusqu’à dix bâtimens dont l’entretien s’élevait à environ 48,000 fr. par mois. Les épargnes des primats auraient été à ce jeu bientôt épuisées. Il fallait de toute nécessité songer à se procurer d’autres ressources. Les Grecs les plus opulens résidaient en Asie et dans les îles voisines du continent asiatique. Les Hydriotes résolurent de les compromettre et de les engager malgré eux, s’il le fallait, dans la cause de l’insurrection. La première tentative eut lieu sur l’île de Samos.

C’est une admirable race que celle qui habite cette île. Sobre, vaillante, dure à la fatigue, elle n’a été ni amollie par de trop faciles jouissances, ni épuisée par de trop dures privatisas. Ses besoins sont d’ailleurs aisés à satisfaire. Samos doit probablement à son climat sec et vivifiant, à son atmosphère pure et transparente, un privilège que nul pays au mon de ne possède peut-être au même degré : une poignée d’olives noires y peut nourrir un géant. Les inclinations des Samiens les disposaient à la révolte ; un sol montueux, des rivages escarpés, se prêtaient dans leur île à la résistance. Un médecin établi depuis quelques années à Smyrne, mais originaire de Samos, avait, de longue date semé sur sa terre natale les germes de la sédition ; il accourut dès qu’il connut le soulèvement des îles albanaises. Les médecins ont joué un rôle important dans la plupart des révolutions ; ici leur intervention était d’autant plus naturelle qu’ils étaient à peu près les seuls Grecs qui eussent eu l’occasion d’aller s’imprégnera l’étranger des idées modernes, et que les Turcs eux-mêmes avaient été les premiers à les introduire dans le domaine de la politique. Le médecin de Samos, nommé Logothetis, était homme de résolution. Lorsque le 30 avril 1821 un navire de Spezzia, servant de vedette à la flotte, vint