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depuis que le monde existe, bien des œuvres dissemblables quant aux formes, bien des talens inégaux, bien des écoles, les élémens essentiels du beau et la fonction de l’art n’en ont pas été pour cela et n’en pourront jamais être absolument changés.

Le livre que M. Beulé vient de publier sous ce titre : Fouilles et découvertes, a, entre autres mérites, celui de nous rappeler ces vérités, bien qu’elles n’y soient nullement exposées à l’état de thèse, et qu’elles ressortent des faits rapportés par l’auteur plutôt que d’enseignemens formels et théoriques. Il semble même qu’en nous parlant des monumens qu’il a retrouvés ou des travaux qui honorent le plus ses confrères, M. Beulé se défende de produire des théories avec autant de soin que d’autres mettent parfois d’empressement à les étaler. Ce n’est pas assurément qu’il se contente d’analyser un à un les événemens qu’il nous raconte ou de décrire sans en dégager le sens les objets d’art qui ont passé sous ses yeux. Il explique à souhait le caractère, la beauté, la raison d’être de ces objets par la civilisation même à laquelle ils ont appartenu ; il rattache ces événemens particuliers à la vie générale et à l’histoire du peuple qui les a vus s’accomplir, mais tout cela d’une manière si discrète, avec une telle crainte des insistances superflues ou de l’ostentation scientifique, qu’il faut en quelque sorte entendre l’écrivain à demi-mot et développer à part soi les données esthétiques qu’il livre, comme on complète par la réflexion les pensées d’un moraliste ou les jugemens succincts d’un historien.

C’est par là, c’est par cette sobriété fort contraire aux procédés de critique usités ailleurs que la méthode de M. Beulé est conforme aux saines traditions françaises, et qu’elle renouvelle dans ce qu’ils ont de meilleur certains exemples que nous a légués le passé. Nous disions tout à l’heure que, jusque vers la seconde moitié de ce siècle, la sécheresse des enseignemens et le parti pris par les savans de n’écrire à peu près que pour les académies avaient amené ce double résultat de supprimer le rôle de l’art dans les questions d’archéologie et d’ôter au public, avec les occasions d’apprendre, l’envie même de s’enquérir. Rien de plus vrai si l’on se rappelle par exemple ce qui se passait en France au temps du premier empire. Sauf Emeric David, Millin et peut-être un ou deux autres, les antiquaires croyaient devoir s’interdire comme un commentaire au moins inutile tout essai de démonstration, en dehors de la description ou de l’appréciation strictement technique des types, des monumens donnés. Chacun d’eux pensait avoir assez fait quand il avait restitué d’un bout à l’autre le texte d’une épitaphe, assigné une date à un fragment d’architecture, une destination spéciale à une statue ; mais il n’en allait pas ainsi dans le siècle précédent. Caylus, Pierre Mariette, l’abbé Barthélémy, Falconet lui-même,