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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/655

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du daïmio, faisant son apparition au fond des cours, se déploie dans la rue sur une longue file. D’abord viennent les deux crieurs, la tête découverte, prévenant la foule qu’elle ait à s’incliner sur le passage du cortège, puis des soldats portant au sommet de longues hampes divers emblèmes, armoiries en cuivre ouvragé, houppes de plumes blanches ou noires, drapeaux bariolés, où chacun peut reconnaître le nom et le rang de leur maître ; à leur suite, des gardes armés d’arcs et de lances, et, dans un groupe plus compacte d’officiers portant les deux sabres à la ceinture, le prince lui-même dans son palanquin fermé. Après eux, un ou plusieurs chevaux richement caparaçonnés sont conduits par des palefreniers ; enfin une nouvelle série de gardes ; et une escouade de serviteurs portant de grandes caisses en laque armoriées terminent le cortège. Ces caisses, supposées contenir les diverses tenues de rechange du maître, sont entièrement vides, mais dans une circonstance officielle le daïmio ne saurait se déplacer sans les traîner à sa suite.

Sortis à la même heure de leur quartier, tous ces cortèges affluent dans la même direction ; le peuple s’est massé sur leur parcours, et, à demi prosterné, accroupi sur ses talons, les regarde défiler dans un respectueux silence. S’agit-il de quelque grand conseil auquel le chiogoun aurait convoqué la noblesse ? Non sans doute, car à leur tour on voit passer les cortèges des grandes dames, reconnaissables à l’ornementation plus coquette de leurs palanquins, aux garnitures de laque et de métal ciselé, qui donnent aux lances de leurs soldats d’escorte un aspect moins guerrier. Ces divers cortèges se dirigent vers le temple d’Hatchiman : les armures des guerriers célèbres du Japon y sont conservées, et, suivant une coutume périodique, on doit les exposer en grande pompe aux yeux de cette assemblée choisie.

Pénétrons avec elle dans le parc qui forme au temple et à ses innombrables annexes, aux bonzeries qu’habitent les desservans, une ceinture d’ombrages séculaires. Des tribunes revêtues de tentures, parquetées de fines nattes en paille, ont été construites au pied du grand escalier qui mène à la plate-forme du temple. Au fond de la tribune centrale, sur un parquet plus élevé de quelques pieds et ceint de paravens, vient de prendre place, sur un coussin, le chiogoun lui-même. Quelques membres de sa famille se tiennent à ses côtés. Devant lui, dans une vaste enceinte rectangulaire, limitée par des tentures blanches aux armes taïcounales, se placent en longues files les daïmios en costume de cour : une ample robe de soie de couleur unie, dont la queue traîne à terre, d’énormes manches cachant entièrement les bras, portant à la hauteur du