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Chaque année, des centaines de millions d’oranges y sont cueillies, puis embarquées et transportées sur le marché de Londres. Il n’existe peut-être au monde aucun district dont la culture soit aussi fructueuse. L’oranger à fruits doux n’appartient pas plus qu’aucun de ses congénères de la même famille à la flore primitive de San-Miguel ; on ignore l’époque précise à laquelle il y fut introduit, mais ce fut certainement peu de temps après la découverte de l’île. Les botanistes considèrent cet arbre comme originaire des contrées les plus orientales de l’Asie, et admettent qu’il n’a été apporté en Europe que longtemps après le bigaradier et seulement dans le courant du XVe siècle. Cent ans plus tard, nous le trouvons déjà cultivé en grand à San-Miguel. Fructuoso, dont la précieuse chronique remonte au milieu du XVIe siècle, fait mention d’une quinta, située près de Ponta-Delgada, où l’on voyait une centaine de très beaux orangers. Des citronniers, des cédratiers, des limeiras et beaucoup d’arbres fruitiers du continent européen prospéraient dans ce verger ; des charretées d’oranges en sortaient chaque année et abondaient à la ville voisine. La fleur, au lieu d’être négligée comme elle l’est maintenant, fournissait par la distillation une grande quantité d’essence d’excellente qualité.

Le commerce des oranges a commencé à prendre un certain développement à San-Miguel dans le courant du dernier siècle ; plus tard, la guerre et le blocus continental n’ont fait que le favoriser. L’alliance intime qui s’est établie alors entre l’Angleterre et le Portugal a créé des relations commerciales entre les deux pays et fourni un débouché presque illimité aux produits de San-Miguel. Toutefois la production des oranges n’a pris véritablement dans l’île un essor considérable que pendant les trente dernières années. Dans le principe, on n’abritait pas les orangers : on les plantait à de grandes distances les uns des autres, et l’on obtenait ainsi de magnifiques arbres qui couvraient une large surface de leur tête touffue, et qui parfois étaient chargés de 15,000 ou 20,000 fruits. Quelques-uns de ces orangers avaient 1 mètre de diamètre. On posait une énorme pierre au sommet de la tige entre les branches pour les forcer de s’écarter latéralement et pour les maintenir à un niveau peu élevé où elles fussent davantage à l’abri du vent. On dut ensuite renoncer à ce système, qui avait de grands inconvéniens dans un pays exposé pendant l’hiver à de violens ouragans. Une nuit de tempête suffisait souvent pour joncher le sol d’oranges en pleine maturité et pour détruire la plus belle récolte ; quelquefois les arbres eux-mêmes étaient arrachés et déracinés. Enfin les bourgeons délicats développés par la sève du printemps avaient presque toujours beaucoup à souffrir de l’humidité saline