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produit plus de chanteurs, on aura du moins cette consolation d’avoir fait de son mieux pour attirer l’encouragement sur quelques braves gens qui sont à la peine et témoignent en leur modeste sphère d’une activité dont se montrent dépourvus ceux que le gouvernement, mal conseillé, a placés et maintient quand même à la tête des beaux-arts.

La symphonie avec chœur a fait cet hiver une triomphante rentrée au Conservatoire. La symphonie avec chœur, la neuvième, car elles sont neuf, ces immortelles sœurs, neuf comme les muses ! Qu’on se rassure, nous ne reprocherons pas à l’orchestre de M. Deldevez d’avoir coupé court à la reprise de la première partie de l’allegro, nous ne nous plaçons pas, comme les prétendus experts dans la matière, « sur le terrain du respect absolu de la scrupuleuse fidélité pour les textes ; » il y a, Dieu merci, assez à célébrer dans l’œuvre de Beethoven pour qu’il soit permis à un chef d’orchestre qui connaît son public d’élaguer certaines longueurs, dussent les mandarins du rite et les turbans verts de La Mecque emplir le ciel d’un cri d’indignation. La lettre tue et l’esprit vivifie ! Interrogeons l’esprit, et voyons ce qu’il va nous répondre au sujet de la neuvième symphonie. Prétendre définir programmatiquement la musique instrumentale est une absurdité ; c’est protester contre sa raison d’être. Quoi de plus simple en effet, si je veux préciser ma conception, que de choisir une des formes consacrées ? N’ai-je pas sous la main l’opéra, l’oratorio, la cantate, la musique d’église ? Où la parole s’arrête, où les mots ne suffisent plus, commence la symphonie : expression suprême de tout ce que l’âme entend sourdre au plus profond de ses abîmes, rêves, désenchantemens, aspirations, illusions, orages. M. Richard Wagner aime, on le sait, à s’appuyer de cette neuvième symphonie par cette raison fort victorieuse, que c’est une symphonie avec chœurs, c’est-à-dire une œuvre proclamant la rupture de Beethoven avec les usages et les règles d’un art dont il aurait à jamais décrété la déchéance. Ainsi parle M. Richard Wagner sans avoir l’air de se douter ou plutôt sans vouloir se douter que, pour que son argument signifiât quelque chose, il faudrait que la neuvième symphonie fût bien résolument la dernière, ce qui n’est pas. Schindler, Moschelès et divers autres personnages en relation intime avec Beethoven rapportent que le maître, au moment où la mort le surprit, méditait sa dixième symphonie, et celle-là rédigée in optima forma, et sans l’ombre de cantate pouvant servir à la dialectique dés fabricateurs de théorie.

« Grise est la théorie, et vert l’arbre aux pommes d’or de la vie. » Rien de plus juste ne se peut dire au sujet de Beethoven. Il ne théorise jamais ; il vit, il aime, souffre, compatit et s’épanche en fleuves harmoniques. C’est un naïf, les autres sont des rhéteurs, des épilogueurs, pour ne pas dire des charlatans, des gens qui vous donnent des préfaces et des exposés de principes quand vous leur demandez de la musique.