Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nable et nerveuse, travaillée par les influences radicales et prompte aux brusques manifestations, tout est possible. On se disait aussi qu’en dehors de toutes les excitations de partis il y a dans la masse d’une population un certain bon sens naturel qui se retrouve aux grandes circonstances, que tous les momens ne sont pas bons pour les excentricités. Par une fortune heureuse, à la veille d’une élection il se rencontrait un candidat dont la nomination était faite pour honorer une ville. Éminent par l’esprit, renommé par une longue participation aux affaires publiques, libéral décidé d’opinions en même temps que conservateur de traditions et de goût, il avait tout ce qu’il fallait pour être accepté de tout le monde sans être blessant pour personne. Par sa position indépendante et neutre il ne représentait une défaite pour aucun parti, et comme ministre il représentait cette libération du territoire qu’il venait de signer. C’était même de la part de toutes les opinions un acte d’habileté de s’effacer devant cette candidature dont on pouvait faire si aisément la candidature du patriotisme.

Ceux qui ont cru au succès de M. le ministre des affaires étrangères n’ont point à désavouer leurs illusions. M. de Rémusat avait pour lui le talent, les lumières, la considération, l’honneur du caractère, sans parler de l’amitié de M. le président de la république. La raison disait Rémusat, le radicalisme a dit Barodet, tenant sans doute à réaliser jusqu’au bout ce mot cruellement juste de M. Allou, que « la force du nombre va chercher ses élus dans le néant comme pour mieux affirmer sa discipline et sa puissance. » M. Gambetta choisissait bien son moment en vérité pour dire l’autre jour dans une réunion de Belleville, à la veille du scrutin, que la réaction seule pouvait accuser la démocratie d’être « l’ennemie des supériorités sociales, » de repousser « les hommes supérieurs et distingués, » que la vérité la mieux établie était précisément « le contraire de cette calomnieuse invention. » — « Ce n’est pas à Paris, s’écriait-il fièrement, qu’on peut tenir un tel langage… » Oh ! non, certes, ce n’est pas à Paris qu’on peut parler ainsi ; le radicalisme parisien, fidèle à la voix de M. Gambetta ou dictant ses lois à M. Gambetta lui-même, vient de prouver son goût pour les hommes distingués en excluant M. de Rémusat, et de fait, on nous l’apprend du moins aujourd’hui dans la joie du triomphe, l’univers, qui avait les yeux fixés sur Paris, n’attendait que cela pour « voir si ce grand foyer de lumière était éteint, si cette flamme bienfaisante et vivace du génie français avait disparu, » et on s’écrie avec un tranquille orgueil : « Que le monde regarde maintenant ! » Le monde en effet regarde plus qu’on ne le croit, et il voit M. Barodet comme un de ces logogriphes que Paris lui donne à déchiffrer de temps à autre. Ils ont donc nommé M. Barodet pour représenter la flamme inextinguible du génie français, et pour une foule d’autres choses encore, pour donner une leçon au gouvernement, pour protester au nom