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préliminaires, emploie au moins cinq minutes. Il lui faut un temps à peu près égal pour fumer la pipe. A chaque aspiration, le fumeur fait un temps d’arrêt, il hume, savoure la fumée et la rend lentement, par le nez ou par la bouche. Entre ce premier temps et un deuxième, le fumeur méthodique s’arrête de nouveau et respire de l’air ordinaire. La pipe se refroidit, car l’opium ne brûle qu’au contact soutenu d’un jet de flamme et à l’aide d’une forte aspiration. On peut de la sorte mettre autant d’intervalle qu’on veut entre chaque aspiration. En tout cas, le temps nécessaire pour accomplir les douze ou quinze aspirations qu’exige la combustion de 1 décigramme d’opium est aussi au moins de cinq minutes, ce qui porte à dix minutes la durée de l’opération entière.

M. Armand compare la fumée de l’opium à celle du tabac, et la comparaison est tout au bénéfice de la première. La fumée d’opium est d’une saveur douce, qui n’affecte pas la gorge comme les vapeurs chargées de nicotine ; elle a aussi une odeur plus agréable. Elle n’empâte point la bouche, enfin elle n’incommode pas toujours les personnes qui en ressentent pour la première fois les effets. On peut donc dire que l’opium se présente avec des dehors plus avenans et d’une façon plus insidieuse que le tabac.

Les opiophages ou mangeurs d’opium sont moins nombreux que les fumeurs d’opium. Généralement on commence par être fumeur, et c’est à la longue que survient le goût plus dépravé et plus funeste d’une véritable alimentation opiacée. Certains individus, en Europe aussi bien qu’en Chine, prennent périodiquement d’assez fortes doses d’opium, soit par suite d’une véritable manie, soit pour calmer les douleurs que leur font éprouver certaines maladies, des névralgies par exemple. On ne sait à laquelle de ces deux causes attribuer les exemples fréquens qu’on trouve en Chine et en Indo-Chine, de gens mâchant et avalant de l’opium. Toujours est-il que la mort est souvent dans ces pays la suite de l’absorption de trop fortes quantités d’extrait narcotique.

L’étude attentive de la constitution médicale des pays où l’on fume l’opium et des effets physiologiques de cette drogue a conduit M. Armand à préconiser l’usage thérapeutique de la fumée d’opium. Ce médecin pense qu’en fumant de 1 à 10 grains d’opium dans les vingt-quatre heures, les malades atteints de bronchites ou de laryngites chroniques, et de certaines névralgies faciales, doivent éprouver les plus heureux effets de l’action sédative et calmante des principes opiacés. C’est une idée ingénieuse qui mérite d’être soumise à l’épreuve des expériences cliniques.


FERNAND PAPILLON.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.