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dépend de la conduite que nous allons tenir d’ici à deux ou trois ans ? On ne peut nier que depuis ses malheurs la France n’ait beaucoup remonté dans l’estime du monde. Elle a montré des vertus dont on la croyait incapable ; elle a fait des prodiges de sagesse, de persévérance, de patience et de travail. Sauf les clameurs du parlement de Versailles, auxquelles on avait fini par s’accoutumer et qui ne semblaient plus être un danger sérieux, la France présentait aux autres nations de l’Europe le spectacle d’un pays qui se relève. Il suffit de quelques jours pour gâter tout cela ; que dis-je ? la mauvaise attitude des partis dans les récentes élections parisiennes et leur scandaleuse coalition contre le gouvernement de M. Thiers ont déjà tout compromis. On recommence à dire que la France est incorrigible, et qu’elle mérite de retomber dans les mains du despotisme impérial.

Il n’est que trop vrai que nous ne sommes pas encore complètement dignes de la liberté ; nous nous plaisons du moins à fournir des argumens à ceux qui voudraient nous la refuser. A l’heure des grands périls, nous sommes presque toujours sages, nous montrons un courage, un bon sens, un esprit d’union, qui étonnent le monde ; puis nous retombons dès le lendemain dans nos travers accoutumés, nous nous abandonnons à la négligence, à l’imprévoyance, à la fantaisie, à la mauvaise humeur. A moins que des circonstances extraordinaires ne tiennent notre patriotisme en éveil, nous ne savons pas faire de la politique sérieuse, de la politique de raison ; nous ne faisons que de la politique de théâtre et de la politique de sentiment. Les plus honnêtes gens, les citoyens les plus paisibles, les esprits les plus modérés et les moins fanatiques se laissent parfois entraîner à la remorque des partis extrêmes par des mots qu’ils ne comprennent pas, par des fantaisies qu’ils n’essaient pas de raisonner, par des impressions passagères auxquelles ils ne savent pas résister. Il y a des mots d’ordre qui se répandent et qu’on adopte sans savoir pourquoi, parce qu’ils sont dans l’air qu’on respire. On s’amuse à faire des protestations, des manifestations sans lendemain, à lancer des défis inutiles, à jouer de mauvais tours au gouvernement, lorsqu’on obéit, c’est sans aucune mesure : l’obéissance va jusqu’à l’enthousiasme et jusqu’à l’abdication. Quand on fait de l’opposition, c’est également sans mesure : on en fait à tout propos et pour le seul plaisir d’en faire. La France enfin, qui est un pays profondément conservateur, s’est montrée jusqu’à ce jour incapable de conserver aucun des gouvernemens qu’elle s’était promis de maintenir.

En sera-t-il encore de même cette fois-ci ? Le gouvernement de la république conservatrice va-t-il être abandonné comme les autres ? Se laissera-t-il renverser à son tour comme tous ceux qui