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les prophètes jéhovistes épuisèrent leurs remontrances. On se rappelle comment Mésa, roi de Moab[1], en égorgeant son propre fils sur les remparts, épouvanta si bien les Israélites qui assiégeaient sa capitale qu’ils se dispersèrent sans oser l’attaquer. Il leur semblait que la Divinité, conjurée par une pareille offrande, ne pouvait plus faire autrement que de se prononcer pour leur ennemi.

Chez les Phéniciens, c’étaient surtout les enfans, et parmi eux ceux précisément qui devaient être les plus chers à leurs parens, les premiers-nés ou les fils uniques, que l’on brûlait en l’honneur de Baal-Hammân. Il est essentiel de constater cette particularité pour arriver à la claire intelligence de ce rite épouvantable. Ni esclave, ni prisonnier de guerre ne pouvait suppléer cette précieuse offrande. Les parens devaient assister à l’immolation de leur enfant ; il leur était interdit sous les peines les plus terribles de donner un signe quelconque de douleur, et pour qu’on ne pût entendre les cris des jeunes victimes, il y avait un jeu de flûtes et de tambours pour étouffer leur voix. C’est à cette coutume invétérée au sein des populations palestiniennes de l’antiquité qu’il faut rapporter le récit de la Genèse sur le sacrifice interrompu d’Abraham. Le sens de ce récit, quelque opinion qu’on s’en fasse, emporte nécessairement que, dans la conscience. religieuse du narrateur, de ses auditeurs ou de ses lecteurs, il n’y avait en soi aucune objection de fond contre la légitimité du sacrifice d’un fils unique. Nous savons par les historiens classiques que la même coutume persista fort longtemps au sein des colonies phéniciennes. A Carthage, nombre d’années après la conquête romaine, en dépit des lois qui l’interdisaient, on continua d’immoler aux dieux des victimes humaines.

C’est à Carthage aussi que nous rencontrons les traces les plus claires de cette déesse Tanit, forme de l’Astarté sidonienne et syrienne, dont le nom se retrouve dans plus d’un nom propre phénicien. C’est une déesse vierge, sévère, belliqueuse, et que les Grecs assimilèrent à leur Athéné (Minerve) ou bien à leur Artémis (Diane). Elle personnifie le. ciel de la nuit, le ciel froid et plus particulièrement la lune. Aussi la voit-on symbolisée soit par une tête de vache, soit par une tête humaine armée de cornes. Astarté-Karnaïm, Astarté la cornue, était très adorée sur la terre de Canaan. Elle était la « reine du ciel, » devant laquelle Job se faisait honneur de n’avoir jamais plié les genoux quand elle montait à l’horizon en déployant son manteau d’argent. Ceux qui connaissent les nuits de

  1. C’est ce roi dont on a retrouvé une inscription du plus haut intérêt et qui ne tardera pas à entrer dans le domaine public. Il faut encore quelques études pour en fixer définitivement le sens sur tous les points.