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esclaves[1]. La concession se paie, ici par une redevance en argent ou en nature, là par l’abandon de la nue propriété d’une autre terre, ailleurs par la subordination et la clientèle : nulle part le service de guerre n’est mentionné.

Les bénéfices des rois francs ne différaient pas de ceux des particuliers. Clovis et ses fils, en succédant ou en prétendant succéder aux empereurs, avaient pris possession du fisc impérial. Ils n’avaient probablement pas une idée bien claire de ce que pouvait être le domaine public ; ils le considérèrent comme une propriété personnelle, et les frères se le partagèrent entre eux suivant les règles qui s’appliquaient aux patrimoines. Ils firent aussi de ces terres ce que les particuliers et les églises faisaient des leurs. Ils trouvaient dans le droit privé qui était en vigueur autour d’eux deux actes distincts, la donation en propre et la concession en bénéfice ; ils usèrent de l’une et de l’autre.

La donation en propriété ou en alleu se rencontre dans un très grand nombre de diplômes des rois mérovingiens[2]. Il ne se peut imaginer un langage plus précis et plus net que celui qui y était employé. « Nous donnons, disent-ils, tel domaine de notre fisc, à perpétuité et sans aucune réserve : celui à qui nous le donnons y exercera tous les droits d’un propriétaire ; il en usera comme nous en usions jusqu’à ce jour ; il l’aura en sa pleine puissance, il en fera ce qu’il voudra, il le laissera à ses descendans ou à ceux qu’il choisira pour héritiers[3]. » A côté de ces donations, les rois faisaient des concessions en bénéfice. Les chartes qui y étaient relatives ne nous ont pas été conservées, et il n’y a pas à s’étonner qu’elles aient péri ; comme elles ne spécifiaient certainement ; pas la perpétuité, on n’avait aucun motif pour les garder longtemps ; on pouvait même avoir plus d’intérêt à les perdre qu’à les conserver. A défaut de chartes authentiques, les chroniqueurs attestent que les rois accordaient des terres en bénéfice, qu’ils pouvaient toujours les reprendre, qu’ils en restaient les vrais propriétaires, que ceux à qui ils en cédaient la jouissance n’avaient le droit ni de les vendre ni de les léguer, et qu’enfin, si elles passaient parfois du père au fils, ce n’était qu’en vertu d’une nouvelle concession formellement constatée par un acte nouveau[4]. La formule de ces

  1. Voyez Testamentum Eberardi, ann. 728 ; testam. Odilœ, ann. 720 ; testam. Abbonis, ann. 739. On trouve des exemples de bénéfices tenus par des femmes. Voy. Guérard, Prolégom. au polyptyque de l’abbé Irminon, p. 531.
  2. On peut voir particulièrement dans les Diplomata, chartœ, édit. Pardessus, les n° 87, 163, 259, 274, 277, 291. Voyez aussi les formules de Rozière, n° 129, 151, 253.
  3. Formules, édit. de Rozière, N° 147, 151, 152, 154, etc. Comparer Grégoire de Tours, X, 31,11.
  4. Grégoire de Tours, VIII, 22 ; IX, 35 ; Gesta Dagoberti, c. 26 ; Vita S. Mauri, c. 53 : Diplomata, t. II, p. 231.