Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une ou deux vaches sur l’allmend, et même d’en louer à cet effet[1]. C’est un grand avantage pour la classe peu aisée qui n’a pas de bétail à envoyer sur l’alpe. Le droit devient ainsi de plus en plus personnel ; il se transforme même en une rente d’argent pour ceux qui le préfèrent ou qui ne peuvent jouir du droit d’usage en nature. Afin de donner à chaque famille le moyen de se procurer par son travail une partie de son alimentation végétale, la coutume s’est introduite partout de livrer à la culture l’allmend située près du village : elle est divisée en un grand nombre de petites parcelles, dont cinq ou six réunies forment un lot, ou bien directement en autant de lots qu’il y a d’ayant-droit. Ces lots sont tirés au sort. L’usager en jouit pour dix, quinze ou vingt ans, ou parfois la vie durant. Au terme de chaque période, tout est remis en commun, et on tire de nouveau au sort. A la mort de l’usager, si le fils ou la veuve ont le droit de jouissance, ils conservent la parcelle jusqu’au nouvel allotissement. Comme tout nouveau ménage qui se forme a droit à réclamer un lot, et que les lots qui deviennent vacans par les décès peuvent être insuffisans, on garde en réserve quelques lots disponibles qui sont loués en attendant. Chaque usager a droit à une part égale qu’il peut exploiter à sa guise ou même louer aux autres « communiers : » il peut y planter des arbres fruitiers ; dans certaines communes, comme à Wolfenschiessen, il y est même obligé, sous peine d’amende.

Quoiqu’elles ne soient l’objet que d’une possession temporaire, les allmends sont partout admirablement cultivées ; elles ne ressemblent nullement sous ce rapport aux terres communales des villages russes, tout en étant soumises exactement au même régime agraire. Pour s’en convaincre, point n’est besoin de s’enfoncer dans les vallées éloignées. A deux pas d’Interlaken, ce rendez-vous du monde élégant où passent chaque année tant de milliers de voyageurs, on peut visiter l’allmend de Böningen, qui couvre tout le delta formé par la Lûtschine à l’endroit où elle se jette dans le lac de Brienz. Si l’on regarde cette plaine d’une hauteur voisine, par exemple de l’Ameisenhügel, sur la Scheinige-Platte, on la voit divisée en un nombre innombrable de petits carrés de terre occupés par des cultures diverses, des pommes de terre, des

  1. Dans l’Unterwalden, à Kerns, le règlement de 1672 donne droit à tous les usagers de mettre deux vaches sur l’allmend ; mais déjà en 1766 la population a tant augmenté, qu’on ne peut plus en mettre qu’une seule. Celui qui en met deux paie 1 florin, et celui qui n’en a pas a droit à 100 toises de terre cultivable. En 1826, on met une taxe sur toutes les vaches : elle a été fixée à 7 francs en 1851, et le produit est partagé entre ceux qui n’en ont pas. A Sachseln, chacun peut encore envoyer deux vaches sur l’allmend. Celui qui n’use pas de l’alpe reçoit une Indemnité, l’Allmendkrone, et une taxe de 3 florins est levée sur chaque tête de gros bétail.