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groupés au milieu des bibliothèques et des collections d’animaux empaillés ; mais on y cherche en vain la moindre étincelle de la flamme intelligente qui brille dans l’inimitable Leçon d’anatomie de Rembrandt.

M. Louis Leloir était, il y a plusieurs années, un peintre de grande ambition, aux visées hautes ; il a préféré se rabattre sur les petits tableaux de chevalet, où il remporte aujourd’hui des succès incontestés. Il faut rendre pleine justice à sa petite scène de bourgeoisie moyen âge intitulée le Baptême. Dans la cour d’une maison gothique ornée de sculptures de bois et tendue de vieilles tapisseries, une bonne grosse Flamande verse à boire à une bande de musiciens vêtus de rouge, pour les récompenser des belles sérénades qu’ils ont données à l’héritier de la maison. Sur le devant, au pied d’un escalier de bois sculpté, encombré de parens et de « gens de la noce, » tous dans leurs plus beaux atours, la nourrice présente le poupon, le héros de la fête, au parrain et à la marraine, qui le regardent avec un sourire plein d’une gravité cordiale. Les personnages sont bien posés, les têtes fines, exactes, étudiées, grassement peintes ; elles n’ont plus rien de la prétention des premiers essais classico-romantiques de M. Leloir. La couleur même est bonne, franche, bien à son plan. Décidément M. Leloir a eu raison de suivre sa vocation, qui le pousse à la peinture de genre. Ce tableau, comparé à d’autres du même auteur, est une démonstration palpable de la grande règle de l’Art poétique : quid valeant humeri, quid ferre récusent.

C’est aussi un tableau charmant dans un genre un peu humoristique que celui de M. Worms, une Tante à succession. Peut-être ce genre de scènes de famille, dont Greuze a été l’inventeur, risque-t-il de tomber plus qu’il ne faudrait dans la caricature ou dans la déclamation. Celle-ci du moins n’a rien de mélodramatique ; c’est une scène de pure comédie. Les neveux et nièces de la tante sont occupés à cultiver leurs espérances ; un neveu galant lui apporte une tasse avec une courtoisie pleine de grâce ; une nièce obséquieuse lui tend la main d’un air tendrement affectueux ; un autre neveu, vêtu d’un habit orange, ouvre doucement la porte et se présente avec un salut profond, le chapeau sur l’estomac et la bouche en cœur. Au milieu de tous ces soins, la vieille tante est assise dans un grand fauteuil, enveloppée d’une superbe robe de soie chiffonnée, immobile, muette, dédaigneuse, acariâtre. Un vieil abbé, familier de la maison et sans doute confident de ses intentions testamentaires, est assis à l’écart et prise en souriant. Tout cela est très spirituel, savamment et finement touché ; mais ces menus et fins tableaux ne sont pas à leur place au milieu d’une vaste