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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/673

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regard va au-devant du visiteur. La touche est un peu minutieuse et gênée, comme cela est naturel chez un peintre qui aborde pour la première fois la miniature, mais elle est juste et sincère.

Il vaut mieux ne pas parler cette année des toiles de M. Pérignon et de celles de Mme Henriette Browne. Celles de M. Pérignon se font remarquer surtout par leur sécheresse vernissée, celles de Mme Browne par une désinvolture sans caractère et par une aisance de facture sans solidité, qui semblent croître d’année en année. Ce talent aimable n’a rien de commun avec l’hominem unius libri, puisque, n’ayant fait qu’un seul tableau dans sa vie, il n’a jamais pu le répéter ; mais il tombe de plus en plus dans une négligence banale que favorise beaucoup trop le don naturel d’une très grande habileté de main. Le malheur de Mme Henriette Browne est qu’ayant le savoir-faire, ou plutôt la brosse d’un peintre de profession, elle a aussi le laisser-aller d’un amateur. C’est là même chez un amateur, la plus mauvaise condition pour bien peindre. L’art sérieux n’existe pas sans une difficulté vaincue, et faute de l’effort incessant vers le mieux, dont les artistes convaincus sont seuls capables, il faut préférer l’inexpérience naïve et laborieuse à la facilité sans idéal, qui se contente elle-même à peu de frais.

M. Dupuis est bien loin d’avoir l’abondance facile de Mme Browne ; mais il a ce qui manque à celle-ci, ou ce qu’elle a toujours négligé d’acquérir, le dessin et le style. Son portrait de M. Martinet est peut-être un peu théâtral ; cependant il a de la précision, de la fermeté, du caractère. C’est un homme aux traits fins et nobles, à la barbe blanche, portant haut la tête, et assis dans une pose fière, une main sur le bras de son fauteuil, une autre sur sa table de travail. Certaines maladresses déparent cet ensemble ; la partie de la tête que l’ombre enveloppe est d’une coloration terne et noire qu’aucun reflet ne relève, et elle forme à distance comme une grande tache d’encre autour de laquelle l’air et la lumière ne tournent pas. Il en est de même d’un portrait un peu lourd et par endroits fort incorrect de M. Huas, mais dont la peinture assez grasse et surtout très sincère aurait beaucoup de relief sans les noirceurs que le peintre y a plaquées pour tenir lieu d’ombre.

C’est de la bonne et saine peinture, sans aucune gaucherie de métier, que celle de M. Henner. Comment se fait-il que cette peinture contente les yeux sans intéresser l’esprit ? comment se fait-il même que le portrait du général Chanzy, quoique d’une facture solide et pleine, paraisse sec, étriqué, et ressemble vaguement à une tête de bois ? Les traits minces, aigus et creusés du modèle prêtaient peut-être à ce défaut ; mais, au lieu de le placer en pleine lumière, de façon à faire ressortir ce qu’il y a d’un peu