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différentiation est donc ici déterminée avec une harmonie merveilleuse.

Il faut franchir maintenant un nouvel échelon et passer de la matière inorganique à la matière vivante. Qu’est-ce qui distingue la seconde de la première ? Lorsqu’on prétend s’en tenir aux résultats de l’expérience immédiate, rien de plus aisé que d’établir les caractères différentiels de la matière vivante. D’abord elle est organisée, c’est-à-dire que les élémens anatomiques, au lieu d’être homogènes et symétriques dans tous les points de leur masse, sont constitués par l’association d’un certain nombre de substances diverses où le carbone prédomine, et qu’on appelle des principes immédiats organiques[1]. Ensuite ces élémens se nourrissent. Jamais identiques à eux-mêmes quant à la substance qui les compose, ils sont dans un état d’incessant renouvellement moléculaire, de permanente métamorphose, d’assimilation et de désassimilation simultanées et constantes. Les propriétés diverses que ces élémens peuvent manifester (contractilité, névrilité, etc.) sont enfin, par suite de l’état de nutrition qui les caractérise, dans un état d’équilibre tellement instable que la moindre variation du milieu ambiant suffit à déterminer quelque changement dans l’expression de leur activité ; en d’autres termes, elles sont d’une excitabilité, d’une irritabilité excessives. Tel est du moins le domaine dans lequel est enfermée la physiologie ; mais ce qu’elle ne constate pas assez, et ce qui pourtant est le trait distinctif de la vie, c’est l’appétition harmonique de toutes les monades vitales, la tendance des énergies biologiques à constituer les groupemens dont la fin et la raison se trouvent dans ce qu’on appelle l’individu. Les différentiations de la matière inorganique se réalisent dans des molécules qui sont spécifiques, sous quelque masse qu’on les considère. Les différentiations de la matière vivante ne se réalisent que dans des individus dont l’architecture et les proportions sont rigoureusement déterminées. Une barre de fer, un cristal de fer et de la poussière de fer sont toujours du fer. Une substance organique apte à la vie n’est rien tant qu’elle est destituée de connexion avec un organisme. Elle ne peut manifester son activité, elle ne peut agir, c’est-à-dire être, en tant que substance vivante, qu’autant qu’elle a pris place et rang dans un certain ensemble, et contracté certaines solidarités avec d’autres substances plus ou moins analogues. Par elle-même,

  1. « La structure des composés chimiques n’est soumise qu’à la loi mathématique, tandis que, dans la matière organisée, la loi mathématique a été éludée. Dans les germes et dans leurs produits, il existe un manqué de symétrie dans l’axe qui dénote une intention formelle, ou pour mieux dire une toute-puissance créatrice. » Gandin, Architecture du monde des atomes, p. 3.