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s’est ouverte en prenant le répertoire de M. Gounod. Quoi qu’il fasse pour se maintenir sur le terrain du passé, les autres le battront en forçant toujours davantage la note grivoise, qui plaît tant, on le sait, au public, et d’ailleurs rien ne dit que la foule, habituée maintenant à goûter dans les petites scènes les plaisirs plus ou moins adultérés de l’opéra comique, revienne jamais les demander à leur source légitime. Vous aurez beau mettre sur votre enseigne que vous êtes le véritable Jean-Marie Farina, vous n’empêcherez pas le public d’aller chercher à la concurrence, qui la lui vendra fort souvent frelatée et mauvaise, la drogue dont vous seul êtes le dépositaire authentique et breveté par la commission des auteurs. Admettons cependant qu’il y a dans ce qu’on entend sous ce nom générique d’opéra comique mainte variété d’espèces qui jamais ne se naturaliseront en dehors d’une certaine atmosphère d’élégance et de salons. On peut transporter sans inconvénient et même avec avantage aux Folies-Dramatiques et le Caïd et le Postillon de Lonjumeau, on n’y saurait mettre le Pré aux Clercs, ni le Domino noir, ni la Dame blanche. C’est dans cette gamme tout agréable et distinguée que le nouvel ouvrage est conçu.

La pièce, qui s’annonce bien avec le ne sais quel faux air du Bourgeois gentilhomme et des Précieuses ridicules, tourne court. Le premier acte est charmant, plein de gaîté, d’entrain, de joviale fantaisie : des scènes amusantes, des morceaux d’ensemble où vous sentez s’exercer couramment la main habile et dégagée qui a écrit le joli ballet de la Source et l’exquise musique de Coppélia. Tous ces personnages sont très curieusement mis en scène ; on les voit aller, venir, gesticuler, se trémousser comme des bonshommes d’un conte de Perrault ; c’est de la parade, mais permise, et qui vous égaie en attendant mieux. Malheureusement le mieux ne se prononce guère, et de ce que ce beau début vous promet, la suite ne va rien vous donner. N’importe, le morceau « des révérences » dans l’introduction, la marche pittoresque de la chaise à porteurs, méritent qu’on s’y arrête. N’était que Rossini et Lablache manquent un peu, on se croirait en pleine Cenerentola. Au Théâtre-Italien, la musique et l’exécution valaient peut-être beaucoup mieux ; mais comme mise en scène, costumes, décors, c’était assurément moins réussi. Ce marquis de Moncontour grotesque et boursouflé, traînant après soi sa nombreuse progéniture de filles, ressemble, à s’y méprendre, à ce don Magnifico que le sage Alcidor dote à plaisir d’un surcroît de famille imaginaire : mi va figliando.

Louis XIV aimait assez qu’on se montrât ébloui de sa présence ; c’était même une manière de lui faire sa cour que de témoigner un grand trouble sous son regard. Saint-Simon raconte que Chamillard, pour devenir ministre, n’usa point d’un autre moyen : lui, très fort au billard, quand il jouait avec le roi-soleil perdait toujours, — chose pour un courtisan assez simple ; mais le comble de l’art était qu’il s’arrangeait