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branches des connaissances humaines retrouvent une vitalité assez féconde pour produire d’abondantes moissons de fruits ; des orateurs et des poètes, des historiens et des savans semblent ramener les jours glorieux des premiers âges. C’est la Gaule qui donne le signal de ce grand mouvement ; ces poètes, ces orateurs, ces érudits sont Gaulois : la menace ironique jetée jadis par Cicéron est accomplie : les descendans de la gent chevelue disposent en maîtres de l’urbanité latine, le tumulte gaulois se fait entendre de nouveau, — mais cette fois dans l’éloquence.


I

La Gaule, aux jours de son indépendance barbare, avait eu ses orateurs comme ses poètes. Au dire des anciens historiens, les chefs des cités savaient aussi bien manier la parole que le gais durci au feu, et cette éloquence naturelle était pour beaucoup dans leur crédit sur les sénats et les armées ; mais les bardes surtout avaient reçu le don de charmer le peuple en l’instruisant. Prêtres de la poésie nationale et dépositaires de toute science, c’étaient eux qui exaltaient les hauts faits du brave ou flétrissaient l’ignominie du lâche. Quand, assis au foyer d’un chef ou debout dans quelque tumultueuse assemblée, ils chantaient la gloire des aïeux en accompagnant leur voix du son de la cruit, le peuple, l’œil fixé sur le poète sacré, écoutait dans un religieux silence, puis, aux derniers accens de l’hymne saint, faisait éclater en bruyans témoignages son enthousiasme et sa joie. Parfois aussi, lorsqu’une guerre fratricide armait cité contre cité, on avait vu des bardes s’avancer sur le front des armées rivales, et bientôt, à l’harmonie de leur parole, les passions féroces s’adoucir, les épées tomber des mains des combattans. « Tels sont les magiciens, nous dit à ce sujet un écrivain grec, quand par leurs incantations ils parviennent à charmer quelque bête menaçante. »

Pourtant cette littérature quelque peu sauvage semble avoir été peu prisée des critiques de la Grèce et de l’Italie : elle faisait même sourire ces censeurs difficiles qui raillaient volontiers l’éloquence gauloise, ses allures fanfaronnes, la boursouflure bravache de la poésie druidique. « Exagérations et poses de tragédiens ! » dit dédaigneusement Diodore de Sicile. La civilisation romaine, l’étude des grands maîtres d’Athènes et de Rome fit tomber cette exubérance de mauvais goût, et assouplit promptement ce génie gaulois réputé jusqu’alors indomptable.

Lorsque les Romains, au IIe siècle avant notre ère, étaient entrés dans la province narbonnaise, ils y avaient trouvé les lettres