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n’étaient séparées l’une de l’autre que par des ruelles ou de petites cours fermées de murs assez bas ; on y était trop près des passans et des voisins pour n’être point sans cesse dérangé.

D’ailleurs on ne restait guère chez soi ; l’on sortait aussitôt le soleil levé. Était-ce jour d’assemblée, on montait au Pnyx. Sinon, après avoir fait un tour au marché pour acheter ses provisions, le commerçant et le journalier allaient à leur travail, les gens de loisir couraient après les nouvelles, et, pour les commenter, formaient sur la voie publique des groupes bruyans, semblables à ceux qui, dans la moderne Athènes, barrent si souvent le chemin aux voitures, là où se croisent les rues d’Éole et d’Hermès. La séance quotidienne du sénat attirait les politiques ; mais parfois une barrière de bois, tirée devant la porte du Tholos, indiquait que ce corps siégeait en comité secret. C’était alors Vers les tribunaux que l’on se dirigeait ; on avait appris devant lequel d’entre eux se plaiderait, ce jour-là le procès le plus intéressant, et la salle était bien vite remplie. Le suprême plaisir, c’était d’écouter quelque discussion entre orateurs de talent, quelque belle plaidoirie ; quand l’assemblée et les tribunaux chômaient, on se rabattait sur la conversation. Comme le Vulteius Menas d’Horace, les uns s’asseyaient sous l’auvent de quelque barbier,

……… vacua tonsoris in umbra ;


d’autres se promenaient en bavardant sous les portiques ou dans les cours et les allées des gymnases. On ne rentrait guère chez soi que pour y prendre ses repas, pour s’y reposer à l’heure de la sieste et pendant la nuit.

Il y avait là des conditions qu’il fallait accepter, sous peine de se retrancher du commerce des hommes ; mais dans cette vie tout extérieure, comment faire à l’étude la place nécessaire ? Démosthène n’hésita point ; il employait ses journées comme le faisaient ses concitoyens, à fréquenter tous ces lieux de réunion ; ses nuits, il les consacrait au travail du cabinet. Une extrême sobriété, dont il s’était fait une règle, lui permettait de réduire au strict nécessaire la part du sommeil. Un des reproches que lui adressaient plus tard ses ennemis, nous le savons par lui-même et par plusieurs témoignages contemporains, c’était d’être un buveur d’eau ; on prétendait trouver là l’indice d’un mauvais caractère, d’un naturel insociable et farouche. Ce n’était qu’une sage précaution, un régime dont lui-même tempéra plus tard la sévérité. Tous les vins de Grèce sont capiteux ; leurs fumées alcooliques eussent rendu le cerveau moins capable de supporter, sans en souffrir, la fatigue de la veille et du travail nocturne.