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odieuse ? La réponse est dans l’esquisse que nous allons faire des possessions portugaises d’Asie, esquisse qui fera comprendre comment les trafiquans en coulies, repoussés des ports anglais et chinois, ont pu trouver réunies à Macao les tristes conditions morales et matérielles dont ils avaient besoin pour mener à bonne fin leurs opérations. En effet, lorsqu’on visite de nos jours ce qui reste debout des colonies conquises au XVIe siècle dans l’extrême Orient par les Portugais, on est douloureusement frappé de voir combien elles ont suivi, au point de vue commercial, le déclin foudroyant de la métropole, et comment elles s’éteignent dans un marasme dont aucune force morale ou physique ne pourra plus les faire sortir. Pourtant nulle nation d’Europe n’a été illustre et puissante comme le Portugal en Asie. Son immense empire s’étendait du détroit de Bab-el-Mandeb jusqu’à celui de Malacca. Dès la fin du XVe siècle, Vasco de Gama, parcourant le premier la grande voie qui conduit par mer de Lisbonne aux Indes orientales, arrivait à Goa. Presque aussitôt François d’Almeida s’emparait de Ceylan, la plus belle perle de l’Océan indien. Les Moluques, ces îles aux riches épiceries et aux oiseaux merveilleux, trafiquaient avec Alphonse d’Albuquerque. La Chine, pays soupçonneux, fermé jusque-là, entrebâillait sa porte à l’appel de Lope de Soarès, et voulait bien pour un moment essayer avec des Européens quelques transactions commerciales. En un mot, il n’y avait pas une seule cour des Indes où le nom portugais ne fut respecté à cette époque autant qu’il était glorieux et jalousé dans le vieux monde. Aujourd’hui, quand à Goa on s’arrête devant les ruines d’immenses édifices, qu’on mesure du regard l’épaisseur des murailles de Colombo, la capitale cingalaise, qu’on voit les anciens palais de Macao gisans à terre et métamorphosés en bouges ou en habitations sordides, on est saisi d’une grande pitié en présence des ruines de tant de splendeurs passées. « Cette tête avait une langue et cette langue chantait, » pourrait-on s’écrier avec Hamlet. Que reste-t-il en effet de cet immense empire ? Rien ou presque rien : Goa, Diu, Timor et Macao. Goa est sans vie, sans commerce ; on en parle encore dans la presqu’île indienne parce que c’est une fertile pépinière de cuisiniers, de joueurs de flûte et de barbiers complaisans, trop complaisans. Diu est une petite bourgade sur les bords du Combayo, non loin de Surate, où les fièvres terrassent annuellement, après la saison pluvieuse, une population misérable et sans aucune énergie, sans même celle dont elle aurait besoin pour fuir de quelques pas ce foyer d’infection. Timor est rempli de lépreux ; les Européens, fort rares heureusement, qui par contagion sont atteints de l’horrible mal, vont s’y réfugier plutôt que s’y cacher, sachant bien que dans cette possession malsaine ils ne seront pour personne un ob-