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jet de dégoût et de répulsion. Reste donc Macao, qu’un beau reflet de la gloire de Camoëns illustrerait encore, — car c’est là que le poète lusitanien composa son admirable poème des Lusiades, — si les trafiquans en coulies, aidés par l’inqualifiable tolérance du gouvernement de Lisbonne, n’étaient venus y ouvrir leur comptoir. Chassés de Hong-kong et de Shang-haï, non par la violence, mais par le mépris qu’ils inspirent aux Anglais et aux autorités chinoises, les traitans ont su découvrir dans les vieux palais en ruines de Macao les vastes prisons dont ils ont besoin pour enfermer leur cargaison humaine jusqu’au jour définitif de l’embarquement pour La Havane ou le Pérou. Ils y ont même trouvé, comme on verra, des commissaires du gouvernement portugais qui apportent aux opérations des trafiquans par leur intervention officielle une véritable sanction légale.

Macao est situé sur la pointe méridionale de la presqu’île de Kauming, et n’est séparé du territoire de la province chinoise de Kouang-toung que par une muraille tout aussi délabrée que la grande muraille de la Tartarie. Lorsque le voyageur y arrive de Hong-kong à bord du White-Cloud, le charmant petit bateau à vapeur qui fait journellement ce trajet en six heures, ses yeux enchantés découvrent de hautes collines boisées, un entassement de rochers pittoresques, une agglomération de maisons s’élevant en gracieux amphithéâtre, puis une plage blanche, sablonneuse, formant l’arc parfait que les Portugais appellent Porto de Praya grande. C’est là que pullule et s’agite la population amphibie des pêcheurs macaïstes.

Dès qu’on a jeté l’ancre, on voit s’élancer du port, dans la direction du steamer, une nuée de petites embarcations manœuvrées avec une rare énergie à l’aviron par des femmes. Leur costume est tellement semblable à celui des hommes qu’il serait impossible de les distinguer de ces derniers, si au moindre mouvement de leurs corps robustes d’énormes seins ne soulevaient dans toutes les directions leur courte chemisette. à n’y a généralement à bord du White-Cloud que trente passagers de première classe; cent batelières n’en accourent pas moins, bien décidées à s’emparer d’un voyageur au moins, et à l’entraîner coûte que coûte au fond de leurs légers sampans. Dès qu’elles sont à portée de la voix des victimes qu’elles convoitent, l’audace des mégères devient terrible; leur élan est si impétueux que le capitaine, dans la crainte de voir son pont envahi, ses ballots et ses passagers enlevés, se trouve obligé de faire jouer rapidement en avant et en arrière les aubes des roues. Lorsque le steamer, comme un cheval qui piaffe, a soulevé une mer. impatiente autour de ses flancs, les barques s’amoncellent et se heurtent dans un désordre effroyable, les avirons