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s’entremêlent et se brisent, le tout au milieu des clameurs de cent femmes exaspérées et du sifflet strident de la machine. C’est précisément à l’instant où. sampans et rameuses sont dans le plus grand désarroi que l’on doit se hâter, si l’on est pressé de débarquer, de se mettre en haut de l’échelle. On n’y attendra pas longtemps un bateau plus avisé que les autres. En ce qui me concerne, deux bras vigoureux, ceux d’une jeune Macaïste, m’enlevèrent comme une plume dès que j’eus mis un pied timide hors du bordage. Je fus presque aussitôt déposé au fond d’une cabine tapissée de nattes, et dix minutes après, ressaisi de nouveau par l’athlète féminin, j’étais doucement replacé par elle debout sur le sable du rivage. Le port de Macao n’ayant pas de débarcadère, la Macaïste avait dû, pour m’éviter un bain de mer désagréable, se mettre à l’eau jusqu’à la ceinture, et me porter dans ses bras robustes jusque sur la terre ferme. Là, je lui donnai deux piastres qu’elle remit aussitôt devant moi à un individu de mauvaise mine, peu vêtu, et qui, accroupi sur ses genoux, semblait philosophiquement attendre l’argent que la batelière, sa femme sans doute, venait de lui glisser dans la main. Je vis ce singulier mari faire un signe de croix en tenant du bout des doigts les deux pièces blanches, bâiller, s’étendre sur le sable chaud de la plage et fermer les yeux. J’appris quelques heures après que c’était le métier le plus honnête que pût faire un indigène : il ne devient dangereux que s’il est à bout de ressources, ou s’il n’a pas une femme courageuse qui lui donne d’une façon ou d’une autre du tabac, de l’opium et du riz.

Il n’y a que trois grandes maisons à Macao qui s’occupent de l’émigration des coulies, mais leur activité est si grande, leurs agens si nombreux dans la province de Kouang-toung et à Canton même, qu’en un an elles parviennent à racoler quatre mille individus en moyenne. C’est ainsi qu’en 1872 elles ont pu charger pour le Pérou les navires péruviens America et Rosalia avec 1,140 coulies, pour La Havane les navires espagnols et français Altagracia, Rosa del Turia, Alavasa, Véloce et Bengali avec 2,447. On remarquera que dans cette liste, où nous avons le regret de voir figurer des noms français, il n’y a pas un navire de la Grande-Bretagne; les Anglais, qui n’avaient aucun scrupule à vendre des canons aux Chinois pendant que le Céleste-Empire était en guerre avec l’Angleterre, refusent pourtant ce genre de transport malgré le joli fret de 15 livres sterling qui leur est offert par tête de Chinois.

Presque tous les embaucheurs sont des métis macaïstes. Cependant, à l’hôtel où je descendis il y a quelques années, je trouvai un misérable Français nommé Lamache qui ne dédaignait pas d’aller à Canton pour le compte d’une maison de Macao faire du racolage au prix modique de 10 francs par tête de racolé. Cet aven-