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défense. Il avait regagné du terrain, étendu et fortifié les lignes françaises autour de l’immense place ; il avait relevé le moral de ses jeunes troupes par d’incessans combats, et formé des régimens nouveaux qu’on instruisait le mieux qu’on pouvait ; il avait constitué un puissant matériel qui s’accroissait de jour en jour. Maintenant le général Trochu sentait bien qu’il ne pouvait en rester là ; il voyait parfaitement que, par une singulière interversion de rôles, il allait être contraint, lui assiégé, d’assaillir l’ennemi dans ses retranchemens, puisque l’ennemi semblait éviter d’attaquer Paris, qu’on avait réussi à rendre presque imprenable. Le général Trochu savait tout le premier qu’on entrait dans une période nouvelle du siège, que l’heure était venue d’agir, de donner à la défense un caractère offensif, et au moment même où il se voyait menacé de disparaître dans l’échauffourée du 31 octobre il en était à étudier les moyens de rompre le cercle qui étreignait Paris ; mais, avant d’en venir là, il fallait organiser définitivement les forces dont on disposait, se créer surtout un puissant noyau d’armée active ; il fallait préparer de toute manière l’exécution du plan qu’on méditait déjà, et il y avait enfin à savoir ce qu’on pouvait attendre de la province, comment l’action de Paris et l’action des armées extérieures pourraient se combiner : trois choses indispensables pour une sérieuse entrée en campagne, — assez faciles comme toujours pour les stratégistes de fantaisie, un peu plus difficiles pour ceux qui avaient à se débattre avec toutes les complications pratiques d’une entreprise où l’on ne pouvait avoir quelque chance de toucher au succès, d’éviter d’irréparables désastres, que par une patiente et énergique prévoyance.

La première condition était d’organiser toutes les forces qu’on avait à Paris, de façon à pouvoir les affecter à un rôle réellement militaire, aux nécessités d’une action offensive. Peu de jours après le 31 octobre, le 8 novembre, on décrétait cette organisation nouvelle en créant trois armées. La première de ces armées se composait de la garde nationale tout entière ; mais était-ce bien là encore une armée ? On allait de tâtonnemens en tâtonnemens, faute de pouvoir ou de savoir utiliser cette masse d’hommes. A parler franchement, il n’y aurait eu qu’un moyen de tirer un parti efficace de la population virile de Paris ; ce moyen, une loi votée par le corps législatif au mois d’août le donnait : il n’y aurait eu qu’à procéder dès le premier jour à la levée de tous les hommes de vingt-cinq à trente-cinq ans, à les incorporer dans les régimens, à les envoyer hors de Paris, à les instruire, à les discipliner. On aurait trouvé là certainement une organisation sérieuse du vrai personnel de combat. Qui donc aurait eu la hardiesse de proposer cette mesure décisive ?