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qu’elle pouvait l’être avec les élémens dont on disposait. Un instrument d’action était créé : qu’allait-on en faire ? Évidemment le général Trochu avait sa pensée, dont il poursuivait la réalisation avec une silencieuse et énergique fixité qui n’était pas toujours comprise par des assiégés fort impatiens de la délivrance et prompts à murmurer. Déjà au mois d’octobre il avait été obligé de déclarer, dans une lettre au maire de Paris, qu’il ne céderait à aucune pression, qu’il suivrait jusqu’au bout et sans le révéler le plan qu’il s’était tracé. Un mois après, le 14 novembre, il adressait aux Parisiens une proclamation nouvelle où, après avoir parlé de tout ce qui avait été fait, de la récente réorganisation de l’armée, il laissait entrevoir que l’heure de l’action décisive approchait. Le gouverneur de Paris et le général Ducrot étaient en effet tout entiers depuis six semaines à ce plan qu’on a tant raillé sans le connaître, dont l’affaire de la Malmaison n’avait été qu’un préliminaire énigmatique, et dont l’exécution allait être tentée d’un jour à l’autre, au plus tard vers le 20 novembre. Tout avait été pesé, mûri, combiné, avec un soin minutieux et dans le plus grand secret. Un seul des membres du gouvernement de Paris, M. Jules Favre, avait été initié à la sérieuse campagne qui se préparait, et tout ce qu’il voyait de plus clair, c’est que le gouverneur « allait enfin agir ! »

Le projet du général Trochu n’était nullement chimérique, comme on l’a dit, il offrait sans doute plus de chances de succès et moins de dangers que tout autre. Il se fondait sur cette idée toute militaire, que pour essayer de percer les lignes prussiennes il fallait les aborder sur le point où l’on était le moins attendu, et ce point, on croyait l’avoir découvert à l’ouest de Paris, dans cette partie du périmètre où la Seine, décrivant plusieurs inflexions puissantes, remontant de Sèvres à Saint-Denis, puis se repliant vers Chatou et Bougival, pour redescendre ensuite dans la direction de Maisons, forme les deux presqu’îles de Gennevilliers et d’Argenteuil. On était fondé à supposer que l’ennemi, se croyant en sûreté à l’abri des sinuosités du fleuve, avait de ce côté des défenses moins fortes, des lignes moins solides, sans doute aussi moins de troupes, et ce que l’ennemi considérait comme une protection pour lui pouvait aussi devenir une circonstance heureuse pour nous en favorisant une entreprise prudemment et vigoureusement conduite. C’est pour cela qu’on avait tenu à éloigner les Prussiens de la presqu’île de Gennevilliers par le combat du 21 octobre, et qu’on s’était hâté de s’établir fortement dans cette région par toutes ces batteries et ces ouvrages des Gibets, de Charlebourg, de La Folie, de Gennevilliers, armés de 80 pièces de marine du plus gros calibre, dominant la presqu’île d’Argenteuil où l’on se proposait de passer à un jour donné.