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la division de Bellemare partaient les dernières salves dirigées sur Cœuilly. Vers quatre heures, il n’y avait plus que des feux épars, le silence se faisait par degrés. La bataille était finie, et l’armée française se retrouvait encore une fois au bord du plateau, maîtresse de ces positions où l’élan du 30 novembre l’avait portée, que les Allemands avaient voulu lui enlever dans cette journée du 2 décembre.

La victoire n’était point douteuse. Elle avait d’autant plus de valeur que l’attaque, soutenue par des troupes fraîches, par le IIe corps prussien, par le XIIe corps saxon, n’avait rencontré nécessairement devant elle que des divisions éprouvées par la bataille de l’avant-veille. Elle faisait le plus grand honneur aux chefs et aux soldats qui l’avaient payée de leur sang, qui avaient laissé sur le terrain bien des morts, en infligeant, il est vrai, à l’ennemi des pertes plus sérieuses encore, en le laissant, selon le mot du major Blume, dans « un état d’épuisement, conséquence inévitable des luttes, des fatigues et des privations des derniers jours… » La victoire du 2 décembre était réelle, elle était plus réelle d’une certaine manière que celle du 30 novembre, et en même temps, par une triste fatalité, elle laissait moins d’espoir. Non, le général Trochu se trompait dans son bulletin, la victoire du 2 décembre n’était pas « plus décisive » que celle du 30 novembre, puisqu’elle nous laissait au même point, puisqu’elle ne nous donnait ni Villiers ni Cœuilly, puisque devant ces hauteurs, qu’on ne tenait qu’à moitié, il était bien permis de se demander si ce qu’on n’avait pas pu enlever par deux journées de bataille sanglante, on pourrait achever de le conquérir par un troisième effort, avec une armée qui, selon la parole du général Trochu lui-même, « avait perdu la plupart de ses officiers de marche, et la plus grande partie de ses cadres. »

Le soir du 2 décembre, le général Vinoy, c’est lui-même qui le raconte, se rendait au Louvre, et il faisait transmettre par le général Schmitz au général Trochu, qui était à Nogent ou à Rosny, une proposition extraordinaire, celle de transporter dans la nuit toute l’armée de l’est à l’ouest, pour tenter le lendemain même de se jeter sur Versailles. Le général Vinoy assure que le gouverneur de Paris répondît « par un refus enveloppé de paroles aimables. » Que pouvait-il donc répondre ? L’idée était hardie à coup sûr, elle était plus hardie que pratique. Elle se fondait d’abord sur une hypothèse absolument inexacte, c’est que les Prussiens avaient eu besoin d’affaiblir leurs lignes d’investissement du côté de Versailles, ce qui n’était pas ; mais ce n’était rien encore. Il s’agissait du conduire, sans perdre une heure, à une nouvelle lutte compliquée et sanglante une armée qui venait de livrer deux batailles des plus sérieuses et qui le soir du 2 décembre avait besoin