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succomber, vaincue par des peuples barbares; ils l’ont représentée comme une reine majestueuse cédant au seul poids du temps, et transmettant elle-même ses pleins pouvoirs à des héritiers dont l’unique vraie force allait être, disent-ils, son adoption. Les autres ont estimé que l’héritage de l’empire, quel qu’il fût, ne suffisait plus désormais, qu’une race nouvelle était appelée à recueillir une partie de cet héritage, et qu’aux deux élémens représentés par Rome et le christianisme un troisième devait se joindre pour former dans l’Europe occidentale les premières sociétés modernes. Les noms fort inégaux de Dubos et de Montesquieu dominent ces deux principaux groupes d’historiens et de critiques.

Assurément c’était un homme d’esprit que l’abbé Dubos. Distingué dès sa jeunesse par M. de Torcy, il prit une part active aux négociations d’Utrecht et de Rastadt, et continua ses utiles services pendant la régence. Il se fit connaître en même temps comme historien et homme de goût. Son Histoire de la ligne de Cambrai est un ouvrage sensé; ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1719), où il montre une réelle liberté de principes littéraires, des vues multiples et quelquefois hardies, une double connaissance de l’antiquité classique et de l’époque de la renaissance peu commune de son temps, lui ont mérité un sérieux éloge de Voltaire. On pourrait lui faire honneur d’avoir, dans une brochure politique, prédit soixante-dix ans à l’avance la sécession des colonies anglaises d’Amérique, s’il n’avait annoncé du même coup à la Grande-Bretagne, pour une époque prochaine, de funestes destinées. Membre de l’Académie française, secrétaire perpétuel après M. Dacier, il comptait, cela est sûr, parmi les esprits actifs et éclairés de son temps. Les étrangers les plus attentifs au mouvement littéraire de la France, David Hume par exemple, prêtaient l’oreille à ses théories : il avait un des premiers affirmé l’influence des climats.

On sait de quelle réaction furent suivies les cruelles dernières années du règne de Louis XIV. La liberté des opinions se donnant carrière, on discuta bientôt avec ardeur sur l’autorité royale, sur les pouvoirs des princes ou de la noblesse, sur l’opposition des parlemens et les droits des peuples. La vivacité des discussions enfantait les théories, l’esprit d’examen appelait la critique historique. Dubos ne resta pas à part; en face du comte de Boulainvilliers, suivant lequel, en conséquence de la victoire formelle des Francs en Gaule au Ve siècle, l’institution d’une noblesse privilégiée continuait à peser de droit sur la nation, il publia en 1734 son Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules, ouvrage considérable, intéressant, mais paradoxal, où il soutint