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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/289

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sujet, et, sans aller chercher de toutes parts ce qui était très loin, la raison elle-même se serait chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L’histoire et nos lois lui auraient dit : Ne prenez pas tant de peine, nous rendions témoignage de vous. »

Que le système de l’abbé Dubos eût de faibles fondemens, comme le dit Montesquieu, il est facile de s’en convaincre dès ses premières pages. Reprochant aux historiens français qui l’ont précédé et même à la plupart de nos anciens chroniqueurs d’avoir cru à l’invasion germanique, il se demande comment ils ont pu commettre une telle erreur, et, quand il en recherche les sources, il trouve que c’est un contre-sens de Frédégaire qui a seul fait tout le mal ! Il rencontre ensuite certains textes parlant de conventions stipulées entre l’empire et les barbares, et voilà ses pierres d’assise, voilà les pieds d’argile pour le colosse en trois volumes in-quarto. Montesquieu, lui, a considéré le problème avec une bien autre étendue de regard. Loin de s’enfermer dans l’unique question concernant la Gaule, c’est dans son ensemble qu’il a étudié le problème avec ses conséquences multiples et lointaines. Il a cru, et presque toute notre école historique moderne avec lui, qu’au commencement de notre histoire, au début de celle de tous les états de l’Europe occidentale, on doit considérer, en y attribuant une grande importance, les effets immédiats de l’invasion. A son exemple et à sa suite, mais chacun avec sa part d’originalité, nos derniers historiens ont mis en relief ce grand fait de la conquête germanique; ils ont dit ce qu’une race nouvelle avait apporté de sentimens nouveaux, mais aussi ce qu’il y avait eu de déchiremens et de souffrances dans une transformation sociale d’où la violence n’était pas exclue. Cette théorie édifiée sur la distinction entre des races diverses, entre des vainqueurs et des vaincus, a fait, nous le savons, son chemin depuis Montesquieu, et trop hardiment peut-être. L’école libérale, au commencement du siècle, a cru pouvoir y trouver des argumens politiques en vue des luttes qu’elle avait à soutenir. C’était abuser de cette théorie que de proclamer, comme faisait l’abbé Sieyès dès 1789, que le tiers était une nation par lui-même, et une nation complète, ou de répondre, comme faisait M. de Montlosier en 1814, qu’il y avait en face du tiers, sur le même sol, une autre nation complète aussi et plus ancienne et meilleure. Il est clair qu’on instituait de la sorte un dangereux antagonisme. L’extrême abus de la doctrine se produisait en 1845, sous la plume d’un publiciste tel que Proudhon, aux yeux duquel un prolétariat révolté contre la bourgeoisie était issu du sang celtique, et devait continuer la revendication en souvenir, de Vercingétorix, son ancêtre, ou bien sous celle d’un écrivain tel qu’Eugène. Sue, lorsque, au lendemain même des journées de juin, il mêlait ensemble, dans ses intrigues roma-