Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le système qui a produit pour les Pays-Bas des résultats économiques inespérés et qui a transformé en leur faveur les colonies de Java et de Sumatra en une source de richesses vraiment inépuisable, le système qui procure chaque année à la métropole tant de millions de picoles de café et de picoles de sucre, et qui fait de l’empire colonial des Indes néerlandaises une immense ferme modèle, c’est celui du travail forcé, inauguré en 1830 par le général Van den Bosch. Chaque famille indigène est obligée de cultiver une plantation sous le contrôle des inspecteurs du cadastre et des finances, et c’est à l’état seul que les produits peuvent être vendus. Café, tabac, indigo, vanille, sont ainsi cultivés par les indigènes et vendus au gouvernement colonial, qui les revend en Europe avec des bénéfices des plus considérables. Les résidens, les régens, les prêtres, les fonctionnaires hollandais et indigènes sont intéressés à la récolte. Aussi l’activité des laboureurs est-elle spécialement remarquable. Sans doute un tel régime est tout ce qui ressemble le moins au self-government colonial, que l’Angleterre fait fonctionner en Australie et au Canada ; mais il y a lieu de remarquer qu’elle applique simultanément deux systèmes opposés de colonisation, et que dans l’Hindoustan, où les émigrans anglais sont comme noyés au milieu de 200 millions d’indigènes, elle maintient un système de centralisation très sévère. Il ne faut pas croire du reste que, malgré la grande prospérité de ses colonies, la Hollande n’y rencontre point çà et là de sérieuses difficultés. Ces embarras sont les mêmes que ceux contre lesquels ont à lutter les Russes dans l’Asie centrale, les Anglais dans le nord de l’Inde. Elle est obligée de vivre en bonne intelligence avec de petits souverains qu’elle ne peut ou ne veut réduire d’une manière absolue, mais qu’elle doit surveiller avec le plus grand soin. C’est ainsi qu’elle a trouvé dans le sultan d’Atchin un adversaire dont elle se défiait déjà depuis longtemps, et qui vient de créer pour elle une série de complications graves.

L’île de Sumatra appartient pour la plus grande partie à la Hollande, mais au nord il existe un état indigène qui a échappé à la conquête. C’est le royaume d’Atchin, qui autrefois était un état puissant, et dont la population est évaluée aujourd’hui à environ 3 millions d’âmes, dont un tiers de Malais ; la plupart des habitans du pays sont musulmans et obéissent à des chefs féodaux, lesquels ont à leur tête un souverain qui prend le nom de sultan. Son grand-vizir cherche surtout à s’appuyer sur le sentiment religieux et à rallier les mahométans qui partent de Singapour ou en reviennent pour le pèlerinage de La Mecque. Le souverain d’Atchin reconnaît comme son suzerain et son chef religieux « le commandeur des croyans, » c’est-à-dire le sultan qui règne à Constantinople. Il a même espéré que cette reconnaissance, d’ailleurs purement nominale, lui assurerait au besoin une protection dans ses démêlés avec la Hollande ; mais c’est là un calcul qui ne paraît pas devoir se réaliser. Il est facile de comprendre le danger que peut constituer pour la do-