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Frédéric-Guillaume IV, était resté à Berlin pendant que son père visitait l’Italie. Bunsen par son savoir et sa bonne grâce eut beaucoup de succès auprès des princes. Le roi lui-même eut avec lui plus d’un entretien sur des sujets qui lui tenaient fort à cœur, principalement sur la réforme de la liturgie dans l’église évangélique. Bunsen, ayant étudié cette question avec un zèle religieux que soutenait une science profonde des antiquités chrétiennes, était en mesure de répondre à toutes les demandes du roi. Le savant n’était pas toujours du même avis que son auguste interlocuteur ; approuvé ou contredit, le roi était toujours charmé. Un soir, après un repas pendant lequel Bunsen, interrogé par le monarque, avait discuté avec lui sur son thème favori de l’organisation de l’église protestante, Alexandre de Humboldt, qui assistait au dîner, ne put s’empêcher de lui dire : « En vérité, j’ai été aussi surpris que satisfait de la manière dont vous parlez au roi. Vous résistez à ses idées sans le mettre de mauvaise humeur ; je l’ai vu au contraire tout joyeux à la suite de cette conversation. » Le roi était si content de Bunsen qu’il lui laissa plus d’une marque de sa bienveillance avant de quitter Rome. Un jour, dans une excursion à Naples, il acheta tout exprès un beau vase étrusque pour en faire don au jeune savant ; un autre jour, sans se douter que Bunsen songeait à quitter la diplomatie, il l’y attacha davantage en le nommant conseiller de légation (Legationsrath).

Il fut souvent question à la cour de Berlin de ce diplomate si savant, si pieux, si aimable, et qui, sans manquer à aucune convenance, gardait si bien son franc-parler. Ces récits devaient frapper l’imagination du prince royal. Il était, selon le mot de Montesquieu, amoureux de l’amitié. N’y avait-il pas dans le caractère qu’on lui dépeignait les choses les plus conformes à ses propres idées, celles qu’il aurait le plus de joie à trouver chez un ami, science, philosophie chrétienne, piété profonde, amour des arts, et par-dessus tout une respectueuse franchise ? Il semble que le prince royal, sur la simple relation de son père et de ses frères, ait conçu pour Bunsen une sorte d’amitié idéale. Sans le connaître autrement, il lui écrivit « qu’il serait bien heureux, lui aussi, de l’avoir pour cicerone le jour où, réalisant un de ses vœux les plus chers, il ferait son voyage d’Italie. »

Ils ne se connurent personnellement que cinq années après, et ce fut une œuvre d’art qui leur en fournit l’occasion. J’emprunte ce curieux détail aux Mémoires publiés par Mme de Bunsen. Une des premières madones de Raphaël, peinte en 1506 à Florence pour les Salviati, si puissans dans la république depuis la chute des Médicis, passa quelques années plus tard aux mains de la famille Colonna, quand les Salviati furent renversés à leur tour. C’est de là que lui