Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

physiologiques et médicales. C’est de là comme d’un fort inexpugnable, qu’elles attaquent et raillent sans pitié les théories idéalistes de la pénalité, -— L’idée de l’ordre violé ? Quel ordre ? qui l’a jamais vu, senti ou défini ? Quel rapport cet ordre prétend-il établir entre une peine probablement injuste et un délit certainement imaginaire ? — L’intimidation ? Mais comment intimider celui dont le crime est le résultat direct, inévitable de la passion qui l’anime ou d’une organisation vicieuse ? — L’amélioration du coupable ? Quelle illusion de l’espérer ! Quand la passion est épuisée et momentanément anéantie, on s’imagine que le coupable est amendé ; mais que demain la passion renaisse, le crime renaîtra avec elle, la passion aura même pris des forces nouvelles dans le désir de la vengeance contre la société.

Concluez donc, osez soutenir que le sang des assassins versé par la justice humaine crie vengeance aussi bien que celui des victimes, — car, si les unes étaient destinées à mourir, les autres étaient nés pour frapper : ni les unes ni les autres ne pouvaient échapper à leur destin. — On a soutenu cela en effet, et M. Moleschott n’a pas craint, en établissant une audacieuse comparaison entre le tribunal et l’assassin, de donner la préférence à celui-ci : « quel rapport en effet y a-t-il entre l’individu aveuglé par la passion qui commet un meurtre et le calme d’un tribunal qui, sans obtenir un avantage moral, quel qu’il soit, se venge d’un crime par la mort ? » Voilà l’assassin réhabilité par l’entraînement irrésistible de la passion aux dépens du juge, qui tombe plus bas que lui en le frappant, sans avoir la même excuse.

Cependant les modérés, les politiques de la secte, ne prétendent pas désarmer la société et la livrer en proie au conflit des appétits et des passions. Ils invoquent l’obligation pour la société de se défendre contre les dangers qui la menacent. On a tort de croire, disent-ils, que nos idées renverseront l’ordre social. La société repose sur les principes de la nécessité et de la réciprocité. On la sauvera plus sûrement avec ces principes, qui s’imposent par leur évidence, que les spiritualistes et les mystiques ne le feront avec leurs chimériques idées de Dieu et de la morale. Comme tous les autres droits auxquels on a cherché si vainement des origines mystiques, le droit de punir naît du besoin ; le principe du droit, c’est le besoin de la conservation qui domine l’espèce. Ce n’est pas en tant que criminel qu’un homme doit être réprimé, mais il peut être supprimé, parce qu’il est un obstacle. Le mal étant un phénomène naturel, la peine doit être un phénomène du même ordre, sans mélange d’aucun autre élément. Il faut traiter le malfaiteur « comme l’arbre défectueux que l’on corrige, et même dans certains cas que l’on arrache. La nécessité naturelle de l’arbre et de l’homme ne