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nous empêche pas de le corriger ; au contraire elle nous y force. » — « Oui, je suis déterministe, écrivait dernièrement un des plus fervens adeptes de cette école, quelque peu embarrassé de concilier ses idées philosophiques avec son rôle de législateur ; je suis déterministe ; mais j’affirme qu’irresponsables au sens absolu du mot, les hommes sont responsables de leurs actes vis-à-vis de la société dont ils font partie. Lorsque j’ai dit dans une autre occasion qu’il n’y a pas plus de démérite à être pervers qu’à être borgne ou bossu, je n’ai pas prétendu nier la responsabilité comme fait social ; je l’ai niée seulement au point de vue absolu ;… mais de même qu’on éloigne un bossu de l’armée, de même on doit, au nom de la conservation sociale, exclure de la société un pervers qui pratique. »

Ainsi, même en se plaçant au point de vue naturaliste pur, on prétend ne contester en rien la nécessité et les exigences de l’ordre social. On paralyse le criminel dans ses moyens de nuire, au besoin on le supprime, tout en le justifiant. Et voici qu’une véritable idylle humanitaire éclôt d’une façon inattendue du sein de l’école matérialiste. Au moins, nous dit-on, ces nouvelles idées ont l’avantage d’éteindre dans les âmes ces haines lâches et irréconciliables que la société affectait jusqu’ici avec tant d’hypocrisie à l’égard du perturbateur. Nous le frappons, nous déterministes, parce qu’il le faut ; pourtant te cœur nous saigne en le frappant. Les grandes lois protectrices des espèces exigent le sacrifice d’un individu ; mais qui oserait s’irriter contre lui ? C’est un de ces êtres lamentables que la fatalité physique place en travers de la civilisation et de l’histoire. La civilisation et l’histoire les broient en passant ; mais, au nom de la science, qui comprend les causes, l’humanité les absout, Elle les plaint ; un peu plus, elle les couronnerait comme les victimes prédestinées du progrès.

Écartons cette rhétorique émue d’une école qui ne se pique pas généralement de sensibilité. Sans doute elle a raison de repousser avec horreur l’idée de la vindicte sociale. Pas plus que Dieu, la société ne se venge ; pourtant n’est-ce pas quelque chose de plus inhumain encore de conserver la peine là où il n’y a plus de coupable ? On aura beau faire, la responsabilité sociale est une monstruosité, si la responsabilité morale n’existe pas. Vous dites que la société obéit à la loi de sa conservation ; mais, s’il n’y a ni bien ni mal en soi, à quel signe jugerez-vous des cas où il faut punir ? Qui décidera d’une manière absolue si l’ordre social est en péril ? qui pourra faire le discernement si difficile et délicat de ce qui est favorable ou contraire aux exigences de l’espèce à un moment donné ? Le critérium manque absolument aux partisans des idées nouvelles. Pour eux, le mal n’est qu’un phénomène naturel comme un autre, mais qui à un certain moment de l’histoire se trouve en contradiction avec le bien