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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/571

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IMPRESSIONS
DE VOYAGE ET D'ART

II.
SOUVENIRS DU BOURBONNAIS


I. — MOULINS. — L’EGLISE DE NOTRE-DAME. — LES VERRIERES.

En faisant route de Nevers à Moulins, je me suis rappelé que c’était près de cette dernière ville que Laurence Sterne, voyageant en France, rencontra par deux fois la pauvre Maria avec son chalumeau, sa petite chèvre et son chien Sylvio. On dit qu’il y a des musiciens orientaux dont l’oreille est si fine qu’elle parvient à surprendre des demi-quarts de ton ; tel Sterne en cette histoire, toute pareille à une élégie chuchotée, qui fait courir à travers les pages du Tristram Shandy et du Voyage sentimental un si délicieux frisson de sensibilité. Rarement le fin petit-maître a joué plus subtilement sur les plus menues cordes du cœur. Quel art de tout raconter sans rien dire ! Avec quelle discrétion il fait monter à nos yeux cette larme que nous y surprenons sans l’avoir sentie venir ! Comme il éveille notre compassion en tapinois, et avec quelle adresse il se dérobe après l’avoir éveillée ! Tout n’est pas précisément pur et sain dans, ces charmantes pages, car là où passe Sterne l’équivoque se faufile dextrement. Quoique la raison de Maria soit égarée, elle est femme, et jolie femme, et Sterne s’arrête trop longuement à la contempler pour que l’admiration de cette beauté ne dispute pas son cœur au sentiment de la charité ; cependant comme ces émotions d’une sensualité naissante glissent et se dissimulent prestement sous les émotions de la pitié ! — Vraiment, me dis-je, pendant que le repasse en souvenir toutes les